Le collectif Pégazz et l’Hélicon déconfine dans la joie
Paul Jarret (guitare) Ariel Tessier (batterie), Raphaël Schwab (contrebasse), Julien Soro (sax ténor), Grégoire Letouvet (claviers), Marc Benham (claviers), au Nouveau Prétexte (lieu de résidence artistique) à Fontenay sous Bois, vendredi 26 juin 2020
Il y avait dans l’air une volonté perceptible de rattraper le temps perdu, tous ces concerts annulés, toutes ces fêtes gâchées : alors les membres du collectif Pégazz et l’Hélicon, qui comptent certains des musiciens les plus créatifs de la scène jazz actuelle, ont fait ruisseler la musique dans toutes les directions et sous toutes ses formes : solo, duo, trio, quartet, septet….Comme le résumait le saxophoniste Julien Soro : « On a été obligés de jouer avec nous-même pendant deux mois, et on commence à être un peu fatigués de tout ça ! ».
Tous ces musiciens se connaissent, se sont croisés, ou se croisent au sein des différents groupes de ce collectif : PJ5, Sweet Dogs, Gonam City, Schwab-Soro, Les Rugissants…Pour mettre un peu de piquant dans l’affaire, il fallait donc organiser des rencontres hors des sentiers battus. Un système sophistiqué et high tech (à base de balles de ping-pong) permit d’introduire un peu d’aléatoire dans les configurations musicales. Solos, trios, duos, quartet se sont succédés avec une fluidité étonnante, comme le décor tournant d’un théâtre.
Il faut dire que tous ces musiciens ont en partage la virtuosité, l’écoute, et la capacité à laisser leurs egos en dehors des débats. Les idées musicales circulent donc dans un air purifié de toutes particules parasites, ce qui autorise de troublants effets de télépathie. La musique, totalement improvisée, se construit devant nous, se cherche, se déploie, s’enrichit, bifurque, se fragmente, décolle , retombe. Elle évolue comme un être vivant livré à ses émotions. Je ne détaillerai pas chacun de ses états successifs, ce serait trop fastidieux, mais juste quelques exemples piochés dans ma mémoire de secours (mon calepin) : par exemple ce très beau duo entre Julien Soro et le pianiste Marc Benham.
Julien Soro, ce soir-là, jouait du ténor. Il y est remarquable. Tout le travail sur le son qui caractérise son jeu à l’alto s’y retrouve. Mais au lieu d’exploiter les effets mouillés-liquides, il travaille sur les sons graves, les sub-tones, les harmoniques, les grincements, les étranglements, tout cela au service d’un lyrisme qui plonge l’auditeur dans un bain d’énergie euphorisant. Au piano, Marc Benham, disciple de Fats Waller, montre qu’il est à l’aise dans tous les contextes, y compris dans des contextes de jeu free et discontinu. Il répond à Soro par un solo bref et fulgurant.
Parmi les autres moments magiques de cette soirée, je garde en mémoire celui où Quentin Ghomari, trompettiste du duo Gonam City (avec Marc Benham, justement) fait surgir une sorte de complainte folklorique irlandaise qui arrive comme une fraîche évidence, et dont le parfum entêtant va nourrir les improvisations successives de ses camarades.
Et puis ce duo entre Paul Jarret et Grégoire Letouvet, transformé en duo de cordes puisque ce dernier, plongé les entrailles de son piano, prolonge les paysages que Paul jarret dessine à la guitare. Le dernier morceau, très réussi, emmène la soirée dans des grooves électroniques qui font penser à la musique de Miles Davis au début des années 70. Quentin Ghomari est à la trompette, Ariel Tessier à la batterie, Grégoire Letouvet, aux claviers, fait monter ce groove comme on souffle sur des braises. En une soirée, on a l’impression d’avoir assisté à dix concerts. Ça tombe bien : si les musiciens ont faim de jouer, les auditeurs ont faim d’entendre. Tout le monde a les crocs…
PS : Parmi les membres du collectif Pegazz et l’Hélicon, le guitariste Paul Jarret vient de sortir un magnifique et bouleversant album, Emma, qui retrace l’émigration suédoise aux Etats-Unis et à travers elle tous les exils. C’est un album de poésie pure, avec la révélation d’une chanteuse exceptionnelle, Hanna Tolf. On le recommande sans réserve.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët