Ramon Lopez en son atelier
Peintre et percussionniste, Ramon Lopez a installé depuis quelques semaines son atelier dans l’ancienne école, ancienne mairie, de La Perrière, dans le Perche. Nous lui avons rendu visite.
Il y a quelques jours, sur les petites routes et les détours que j’aime emprunter lors de mes allers-retours vers la Bretagne, après avoir laissé Marie-Claude Nouy à ses tâches de promotion et coordinatrice de projets dans son ancienne maison de garde-barrière à Mortagne-en-Perche, défaisant, telle Pénélope, les communiqués rédigés la veille, au fil des annulations de concerts pour cause de coronavirus, je me suis arrêté quelques kilomètres au sud à La Perrière, où Ramon Lopez vient de se faire octroyer un espace de travail pour ses activités de peintre. Si j’hésite à m’aventurer sur le terrain plastique et pictural, domaine dans lesquels je n’ai aucune compétence, je perçois – il se présente d’ailleurs ainsi –, l’improvisateur-autodidacte qu’il est sur l’instrument, épris de matière, d’associations, combinaisons et juxtapositions (matériaux, pigments de différentes natures, représentations et abstractions, profane et sacré, irrévérence et dévotion, mythologie et quotidien), animé par la volonté de tenter et d’expérimenter, le tout dans une espèce de jubilation du geste et de ce qu’il va produire.
Bientôt il m’entraine chez lui, à quelques kilomètres, explore ses placards de cuisine et son frigo qu’il déplore vides, mais dont il tire de quoi concevoir un petit trésor de gastronomie de fond de tiroirs que nous dégustons face à son jardin en nous émerveillant de la mobilité des moro-sphinx qui butinent un buisson placés sous nos yeux, en déroulant leurs longues trompes au plus profond des corolles.
Sans carnet de notes ni magnétophone, pour le plaisir du bavardage la bouche pleine et un verre à la main, la conversation va bon train, et prend des chemins inattendus pour qui s’est fait de lui une image de batteur free européen : le rock qu’il a joué en autodidacte en Espagne (il est né à Alicante en 1961), Weather Report dont il connaît le répertoire par cœur, le jazz-jazz qu’il a découvert en 1980 avec Max Roach, puis Tony Williams… ses deux premiers grands maîtres. De Tony, il a examiné les audaces du “Second quintette” de Miles Davis, de Max Roach, sa première école, il a retenu la nécessité d’être soi-même.
À bâtons rompus, il me raconte son arrivée à Paris en 1985, l’ONJ de Didier Levallet, le Grand Louzdsak de Claude Tchamitchian, le trio Aurora avec Agusti Fernandez et Barry Guy, ses collaborations avec Bruno Angelini ou Philippe Mouratoglou (qui m’a précédé là de deux jours)… j’en oublie, mais pas sa prédilection pour les duos où il voit comme une maïeutique réciproque, ni son apprentissage des tablas (il ne joue plus que le dayan, le petit fût aigu, qu’il a intégré à son set de batterie), ses voyages en Inde, les bœufs avec les élèves du CNSM de Paris où il enseignait avec Patrick Moutal…
Il me raconte aussi ce qu’a été le confinement pour lui, habitué à parcourir le monde, l’arrêt des concerts qui tardent à reprendre, la solitude soudaine, le quotidien de ses promenades et ses séances de karaté en solitaire dans la forêt de Bellême et ses futaies de grands chênes, solennels comme les piliers d’un grand temple qu’il me fera visiter. Il exprime encore son regret du concert avec Barry Guy et Angelika Sanchez annulé à Jazzdor le 10 novembre, la pianiste étant retenu aux Etats-Unis par les mesures sanitaires, et sa hâte de remonter sur la scène du Fossé des Treize à Strasbourg, dans le programme de remplacement imaginé le même jour, avec Barry Guy, la violoniste Maya Homburger et la saxophoniste Mette Rasmussen.
Au moment de quitter son atelier, je remarque le tableau qui illustre la pochette de son dernier CD en duo, avec le violoniste Mark Feldman, merveilleux exemple de cette maïeutique du duo dont il me parlait plus tôt. Le temps de m’arrêter prendre un café à la Ferme des deux mares, au pied d’une bibliothèque musicale (notamment consacrée au jazz) comme j’en ai peu rencontrée chez des particuliers) chez Thierry-Paul Benizeau (dont les lecteurs de Jazz Magazine connaissent la signature depuis quelques temps et dont ils ont entendu au mois d’août la série sur Herbie Hancock à France Musique), et après un vif plaidoyer de sa part pour la mémoire du saxophoniste Booker Ervin, me voici en route pour une dernière étape avant Paris. Franck Bergerot (photos © X.Deher)