Nancy Jazz Pulsations, le dernier des festivals ?
Jeudi 15 octobre. Nancy est passée entre les mailles du filet gouvernemental, le NJP ne compte pas roupiller. Il en a fallu du ressort aux organisateurs pour ouvrir les portes de ce bel événement, l’un des rares festivals miraculés de l’automne. Jauges réduites, programmation grippée, cas contacts et Castex chinois, sans oublier le crachin d’automne et le ciel gris bitume qui ne dépareillerait pas dans une toile de Pierre Soulages… D’aucuns seraient allés se recueillir au parc Sainte-Marie devant le buste d’Emile Coué de La Châtaigneraie, père de la fameuse méthode d’autosuggestion, pour trouver quelques lueurs d’espoir. Au NJP, les hypnoses collectives se déroulent sur scène, pas dans les bureaux du festival. Sans aller jusqu’à enfourcher le tigre présidentiel, l’équipe de Thibaud Rolland a pratiqué le saut d’obstacles en multipliant les concerts en extérieur au parc de la Pépinière, en maintenant les prix et en jonglant avec les annulations de dernière minute. Leur mot d’ordre : « Maintenir, c’est résister. » Au final, les spectateurs auront pu assister à environ 70 concerts, du 3 au 17 octobre, en soirée, non à l’heure du goûter.
Sélène Saint-Aimé ©SamAndMaxPhoto
19h. Il va falloir courir entre les divers concerts, programmés dans trois salles de la ville, et faire des choix draconiens. Ouverture du bal masqué à L’Autre Canal, scène de musiques actuelles située à dix minutes de la place Stanislas, avec les piñatas électro-psychédéliques, voire psychotropées, de Murman Tsuladze, l’ovni de Géorgie. Pas le temps de suer, direction la Manufacture pour admirer Sélène Saint-Aimé, révélation jazz de l’année avec son superbe album, Mare Undarum. On baisse clairement le tempo, on grimpe de niveau. Formule quintet pour un récital jazz baroque déroutant, résolument différent. Elle attaque par la pièce « Mare Undarum Part I », un prélude hypnotique, mariant les cordes sensibles et les mélopées tribales, qui donne envie de s’enfoncer dans son siège et de plonger dans ses pensées. Le rythme et la dissonance, tel sera le terrain de jeux de cette artiste aux multiples facettes (poète, contrebassiste, chanteuse), qui pratique les fusions à chaud de cordes, cuivres, percussions ka, rythmes afro-caribéens et transes gnaouas. Jeux de texture vocale, dialogues de cordes, notamment avec le violon vagabond de Mathias Lévy, les voix se confondent, jouent au chat et à la souris, on refait le contrepoint. Silence dans la salle, les spectateurs sont scotchés à leur siège ; ce soir, ils prennent de la hauteur. Il leur faudra également de l’attention pour suivre les envolées du quintet sur les relectures, certes audacieuses mais parfois elliptiques, de la valse-choro pour guitare seule de Heitor Villa-Lobos et d’une pièce de Modeste Moussorgski. Sélène Saint-Aimé conclut son récital sur la pièce « Cum Mortuis in Lingua Mortua », une variation sur le thème de la mort. Une manière de nous rappeler qu’en ces temps de fièvres collectives, il est plus que jamais nécessaire de soutenir le spectacle vivant. Debout les morts !
Murman Tsulade ©J.M. CALOT
23h. Retour à L’Autre Canal pour une fin de soirée sur le dancefloor au rythme frénétique de l’électro-chaâbi du duo Kabylie Minogue, deux DJ aux bouclettes brunes adeptes des grands écarts entre la Méditerranée et la scène de Detroit. Les jeunes Nancéiens se sont rués à cet after. Même avec les fesses coincées dans les sièges, ça bouge diablement du bassin ! L’heure est à la danse, la transe, malgré les distances. Finalement, quelles que soient les chapelles, parfois, jazz et java, c’est du pareil au même.
Nuit noire sur le NJP à l’heure de rentrer se coucher, délicieusement K.O. par ce rare kaléidoscope de musiques, sans frontières et malgré les gestes barrières. Le monde d’avant pour encore quelques heures.
Youri
Photo en-tête: Sélène Saint-Aimé ©SamAndMaxPhoto