Jazz live
Publié le 22 Oct 2020

Anne Ducros, sans tambours ni trompette

Malgré tout ce qui va mal, Anne Ducros a chanté comme si tout allait bien. Cela s’appelle la magie du jazz, comme un jeudi au Bal Blomet.

Ne comptez pas sur elle pour avoir l’air accablé. Elle sait comme nous tou.te.s que le ciel ne va sans doute pas tarder à nous tomber à nouveau sur la tête, à l’heure où, partout où l’on voit la vie en rouge, on avance celle des concerts pour la vie du jazz ait encore un sens.
Anne Ducros est une chanteuse de jazz qui sait ce que se risquer veut dire. Comme chanter sans filet par exemple, devant un public qui, lui non plus, n’a pas peur de tenter ce diable de virus, parce qu’aimer la musique c’est aussi, et plus que jamais, soutenir celles et ceux qui en jouent.
Anne Ducros passe de l’anglais à l’italien comme si de rien n’était, de Tea For Two à Estate, ces deux chansons que tant d’artistes ont su magnifier. Mais ce soir, c’est à elle, c’est son tour, elle défend son dernier album en date, sorti en février dernier, dans le monde d’avant, “Something”, ainsi nommé d’après le joyau de George Harrison (“Abbey Road”, 1969, les Beatles), dont elle donne une version qui fait danser chaque mot : « Someting in the way she moves attract me like no other lover » – et l’on pourrait remplacer moves par sings.

Sans tambours ni trompette, donc, et sans filet, car “seulement”, oserait-on dire, entourée à sa gauche et à sa droite par Adrien Moignard, guitariste, et Diego Imbert, contrebassiste, deux musiciens qui savent qu’accompagner est un art, et aussi un métier. Ce sont eux qui jouent sur le disque, et cela s’entend : l’osmose est là, les deux cordes vocales de l’Une se mariant idéalement avec les douzes cordes des deux autres, ce qui – c’est joliment dit –, fait bien « un trio à douze cordes » (Francis Marmande dans Le Monde). L’épicentre vocal de ce trio, c’est Anne Ducros, chanteuse au phrasé virevoltant qui peut tout aussi bien devenir souffle caressant, murmure du creux de l’oreille. C’est selon. La magie du jazz vous dit-on.

Prochains Jeudis Jazz Magazine : la chanteuse Lou Tavano le 3 novembre (pour célébrer la sortie en vinyle d’“Uncertain Weather”, Choc Jazz Magazine), et Alain Jean-Marie, pianiste rare, en duo avec, welcome back, Diego Imbert à la contrebasse, le 3 décembre, pour revisiter les plus beaux thèmes d’un magicien
des 88 touches disparu voici quarante ans : Bill Evans. JULIETTE BARNEL

Je me permets de republier ma chronique Choc de l’album “Soemthing” d’Anne Ducros, parue dans le n° 725 de Jazz Magazine (mars 2020) :

Anne Ducros
Something
1 CD Sunset Records / L’Autre Distribution
Nouveauté. Vingt ans après ses débuts discographiques, Anne Ducros signe tout simplement son meilleur album à ce jour. A travers douze standards de jazz – mais pas que –, sson art vocal est relayé par la guitare d’Adrien Moignard et la contrebasse de Diego Imbert.

Je sais, ça ne se fait pas de suivre la “règle du je” dans une chronique de disque, mais le bonheur de me retrouver les colonnes de Jazz Magazine est intimement lié à celui d’une de mes premières chroniques de disques : celle de “Purple Songs”, paru sur Dreyfus Jazz en 2001 et produit par Didier Lockwood, auquel cet album est dédié. (On me souffle que la jolie photo de pochette de “Purple Songs” était signée d’un fidèle de Jazzmag, Jean-Baptiste Millot, comme celle de “Something” : l’histoire continue.) Ce qu’il y a d’émouvant dans le nouvel opus de Mme Ducros, c’est que j’y retrouve tout ce qui m’avait touchée au tout début du XXIe siècle : la suprême élégance et la grâve aérienne de son phrasé, la beauté diaphane de son timbre, cette diction parfaite, la façon dont elle fait swinguer, oserais-je dire danser chaque mot. Sans tambour ni trompette, ni même piano ou saxophone, elle ose un disque entier sans nul autre filet que celui délicatement tissé par Adrien Moignard et Diego Imbert, tous deux frissonnants d’invention discrète, à l’écoute de la voix de leur maîtresse de cérémonie, chanteuse du creux de l’oreille en état de grâce d’un bout à l’autre de ce disque miraculeux, qui de Something de George Harrison à Estate (cette pépite) de Bruno Martino en passant par Nuages de Django Reinhardt (des Nuages en apesanteur divine, vocalisés comme jamais) et Samba Saravah (autre pépite) de Pierre Barouh, cette petite heure de musique n’est que pur bonheur. Comme disait le poète, « il y aura toujours du jazz dans not’ vie tant qu’il y aura d’la vie dans le jazz ». Merci, Anne Ducros, de faire vivre le jazz. Juliette Barnel

Anne Ducros (voc), Adrien Moignard (elg), Diego Imbert (b). Boulogne-Sur-Mer, Studio du Bras d’Or.