Jazz live
Publié le 30 Mai 2021

JAZZ SUR LE VIF : JÎ DRÛ , ÉMILE PARISIEN

Retour du public au Studio 104 après 7 mois de concerts confinés, sans spectateurs mais avec les micros de France Musique, en direct ou en différé. Bonheur palpable des artistes, des spectatrices et spectateurs (tiers de jauge pour satisfaire aux normes sanitaires, mais quand même plus de 200 personnes), et des équipes de Radio France. La Maison de la Radio, nouvellement pourvue d’un providentiel -et de la Musique- n’a jamais si bien porté son nom.

Arrivé en milieu d’après-midi après la balance du groupe ‘Sfumato’, j’ai assisté aux ultimes réglages de son pour le groupe ‘Western’ de Jî Drû. Ambiance studieuse, perfectionniste, qui ne masque pas le bonheur du retour à la scène.

JÎ DRÛ «Western»

Jî Drû (flûte, voix), Sandra Nkaké (voix, sanza, objets sonores, effets), Arnaud Forestier (piano électrique, synthé basse), Mathieu Penot (batterie, objets sonores)

Paris, Maison de la Radio et de la Musique, studio 104, 29 mai 2021, 17h30

Le groupe va donner, à peu de choses près, le programme de son disque «Western» (Label Bleu, 2019), à ceci près que l’incipit, Always on Your Mind, deviendra conclusif. L’ensemble est suscité par une lecture du monde inspirée par les westerns : ceux que le flûtiste a vus dans sa jeunesse, et au-delà, avec son mélange d’esprits malfaisants, de violences dominatrices, mais aussi d’esprit pionnier, d’imagination au pouvoir. Ce n’est pourtant pas ce qu’il est convenu d’appeler une ‘musique à programme’, simplement un décor allusif, un sens de l’espace, une aventure sonore en soi. Et le résultat est à la hauteur de l’ambition esthétique : de flûte expressive en voix (souvent plus soul que pop, et c’est tant mieux), du français à l’anglais, de l’intime à l’universel, le groupe nous embarque. Le son allie le meilleur de la fusion seventies aux escapades sonores des musiques du monde. Parfois le batterie se mue en tambours améridiens pour visiter un fleuve imaginaire, et tout au long du concert la pertinence des accompagnateurs, les déambulations modales du flûtiste et la belle expressivité de la chanteuse m’ont entraîné loin de mes bases. Bref ce que l’on attend d’une belle et bonne musique en concert. Je n’en dis pas plus car cette première partie sera diffusée dans l’émission ‘Jazz Club’ de France Musique le samedi 5 juin à 19h. Vous la découvrirez alors, et pour plusieurs années, en suivant le lien ci-dessous.

https://www.francemusique.fr/emissions/jazz-club/jazz-sur-le-vif-ji-dru-a-la-maison-de-la-radio-de-la-musique-95485

ÉMILE PARISIEN «Sfumato»

Émile Parisien (saxophone soprano), Roberto Negro (piano), Manu Codjia (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)

Paris, Maison de la Radio et de la Musique, studio 104, 29 mai 2021, 19h

Après un court changement de plateau où chacun des musiciens, entrants ou sortants, apporte sa contribution physique, voici la seconde partie, qui est en direct sur France Musique dans l’émission ‘Jazz Club’ d’Yvan Amar. Avant l’heure fatidique, pendant que France Musique (diffusé dans la salle : on va être en direct) fait entendre la fin de la rediffusion d’un concert de Ben Sidran, Arnaud Merlin (producteur des concerts ‘Jazz sur le Vif), fait une courte intervention et signale que le batteur Gautier Garrigue, présent aujourd’hui dans ce groupe, était sur cette même scène le 24 octobre 2020 au côté de Baptiste Trotignon pour ce qui allait être le dernier concert avec public jusqu’à cette reprise. Tout un symbole, du meilleur augure.

Le programme du concert va puiser dans le répertoire des deux disques (label ACT Music) du quintette d’Émile Parisien avec Joachim Kühn : «Sfumato, with Joachim Kühn» (mai 2016) & «Sfumato, Live in Marciac» (août 2017). Roberto Negro et Gautier Garrigue n’étaient pas de ces aventures passées, mais ils tiennent leur rang avec éclat !

Le concert commence par une composition d’Émile Parisien intitulée Préambule. On a annoncé qu’elle sera suivie d’une composition de Joachim Kühn. Guitare, contrebasse et batterie introduisent sobrement, mais avec une belle intensité, prélude à l’extraordinaire vocalité du saxophone soprano. Le piano va ensuite nous entraîner, sobrement, vers d’autres horizons. Revient ensuite le sax, c’est comme une cérémonie, sensuelle et mystique tout à la fois. L’incandescence est à son comble. Comme Yvan Amar avait annoncé d’entrée le second thème, nous croyons qu’il va s’enchaîner, et nous n’osons pas applaudir. Les musiciens le comprennent, et enchaînent avec Missing a Page, de Joachim Kühn, ses unissons acrobatiques et son tempo d’enfer. On est passé de la cérémonie à l’émeute, ou presque. Manu Codjia exulte. Ce sera ensuite un vibrant dialogue entre Roberto Negro et Gautier Garrigue, arbitré par Simon Tailleu ; on ira d’Igor Stravinski en Cecil Taylor, puis Émile Parisien rentre dans le jeu, et la folie bat son plein. Voilà qui n’aurait pas déplu à Joachim Kühn !

Émile Parisien prend la parole, dit leur plaisir de retrouver le public, présente ses partenaires, et annonce un thème qu’il pratique depuis des années dans les différentes métamorphoses de ses groupes : Le clown tueur de la fête foraine. Introduction du pianiste : on est entre Schubert et Satie, cette valse mélancolique procure de langoureux vertiges, et la mélancolie va s’incarner sous peu, entre sax soprano et guitare. Je connais ce morceau par cœur, et pourtant sa poignante simplicité me bouleverse encore. Manu Codjia fait chanter cela, dans son solo, comme si c’était du jazz manouche. Que c’est beau ! Dans une autre partie cela va s’ensauvager un peu, et finir crescendo dans une pure folie. Quel groupe…. Maintenant Émile annonce un thème qu’il a composé à Ibiza où réside Joachim Kühn, à l’occasion d’un séjour de travail pour préparer le programme ‘Sfumato’ : il s’excuse presque de son manque d’imagination pour le titre, qu’il juge «un peu nul» : Balladibiza. Là encore c’est une cérémonie secrète qui va nous entraîner très loin. Pure vocalité du sax, piano qui joue les perturbateurs, guitare sinueuse, puis à nouveau piano qui va nous conduire dans de délicieux méandres harmoniques (souvenir de Silence, de Charlie Haden ? Phantasme de l’auditeur, sans aucun doute).Tutti pour finir, libre et précis tout à la fois.

C’est la fin du direct, mais laissez-moi vous dire deux mots de ce que vous avez manqué, en rappel : Poulp, et ses fantaisies rythmiques joyeusement transgressives. Ce sont de nouveaux espaces de liberté. Émile Parisien explore de manière récurrente, en spirale, des lignes obsédantes, qui conduiront à des unissons avec guitare et piano, avant un solo de batterie d’une polyrythmie explosive ; et conclusion collective. Quel magnifique groupe ! À écouter, ou réécouter, et de toute urgence, en suivant le lien ci-dessous vers l’émission ‘Jazz Club’ de France Musique.

Xavier Prévost

https://www.francemusique.fr/emissions/jazz-club/direct-jazz-sur-le-vif-emile-parisien-quintet-sfumato-95274