D’JAZZ NEVERS, édition spéciale
Plaisir de retrouver Nevers, après l’annulation de novembre 2020 pour la superproduction Covid, le retour. Douceur des Bords de Loire
Contemplation rituelle du chevet de l’église Saint Étienne, avec ses absides et absidioles, chef d’œuvre de l’Art Roman. Une pensée pour Prosper Mérimée, qui fut non seulement écrivain mais aussi inspecteur général des monuments historiques, et fit classer l’édifice. L’historique affiché à l’intérieur ne mentionne plus son nom….
Et parcours familier via la Montée de Princes jusqu’au flanc du Palais Ducal où s’épanouit le Théâtre Municipal
Dans le petit livret-programme, le festival expose sobrement le beau projet de faire vivre, dans cette ‘Édition spéciale’, quelques concerts initialement prévus pour l’automne dernier
SLOW
Yoann Loustalot (trompette, bugle), Julien Touery (piano), Éric Surmenian (contrebasse), Laurent Paris (batterie, percussions)
Nevers, Théâtre Municipal, 3 juin 2021, 12h30
Le groupe était initialement prévu le 9 novembre 2020, dans cette même salle, à un autre horaire
Ils sont là, vibrants d’impatience à l’idée de renouer avec le public in vivo, loin de la distanciation et des médiations audio-visuelles : musique vivante, et présente !
Comme l’album paru en 2019, le concert commence par Table rase. L’intro de piano nous entraînerait presque du côté de Ligeti, puis le bugle fait son entrée en majesté : l’extraordinaire densité du timbre va nous saisir, et la musique nous faire captifs pour tout le concert. Le thème suivant (composé par Julien Touery, qui est avec Yoann Loustalot le co-initiateur de cette aventure) commence comme une déploration. Après un ostinato de piano s’opère un glissement progressif vers le plaisir harmonique, dans une mélodie d’une mélancolie insondable. La lenteur est l’emblème revendiqué de ce groupe, et la retenue du tempo exacerbe l’expression. Pour le thème suivant c’est la trompette, comme un soleil d’Andalousie dans une brume nordique. Puis ce sera un tempo relativement plus vif, avec des chromatismes mystérieux, un piano furtivement tenté par une inspiration sérielle, avant que tous convergent vers la tonalité. Au fil des titres on ira de tourneries bruitistes en danses rituelles, de douceurs en crissements. Une ultime composition du contrebassiste fera vibrer dans la mémoire du vieil amateur le souvenir de Charlie Haden et, chaleureusement rappelés, les musiciens nous offriront un inédit, postérieur au disque et peu joué sur scène en raison de la pénurie épidémique de concerts. C’est d’une déchirante mélancolie, avec cette intensité retenue qui me rappelle Kenny Wheeler. Musiciens heureux, public comblé, chroniqueur itou.
Quelques heures plus tard, sur la grande scène de La Maison (que l’on précisait autrefois ‘de la culture’….), encore un groupe rescapé des annulations de l’automne, le ‘Tinissima Quartet’ de Francesco Bearzatti
FRANCESCO BEARZATTI TINISSIMA QUARTET «Zorro»
Francesco Bearzatti (saxophones ténor, clarinette, flûte traditionnelle), Giovanni Falzone (trompette), Danilo Gallo (guitare basse), Zeno de Rossi (batterie)
Nevers, La Maison (de la culture), 3 juin 2021, 18h30
Je suis depuis des années un admirateur de ce musicien et de son groupe, et si les disques (et les concerts), depuis plus de 10 ans maintenant, m’avaient conquis, je dois à l’honnêteté d’avouer que le disque «Zorro», paru l’an dernier chez CamJazz, m’avait laissé sur ma faim. Mais cette performance avec film muet (Le signe de Zorro, 1920, avec Douglas Fairbanks) m’a fait changer d’avis. D’abord, vieux cinéphile biberonné pour le muet à Buster Keaton, Murnau, Fritz Lang, Eisenstein et autres Dziga Vertov, je ne connaissais pas ce film co-réalisé par Fred Niblo & Theodore Reed. Ensuite parce que la musique a manifestement évolué en liberté depuis le projet initial, et la nécessité de l’accorder au format du film (assez long pour un muet) a poussé les musiciens à s’évader un peu du canevas originel du disque. Il en a résulté non pas une espèce de surlignage musical de l’action et des sentiments, mais une sorte de dialogue entre le film et la musique, avec humour de part et d’autre. Et si le Sergent Garcia se nomme ici Gonzales, sa forfanterie nous plonge d’entrée de jeu dans une ambiance farcesque, sur laquelle le film rebondit, et la musique avec lui. Bref ce fut une réussite en matière transdisciplinaire comme en termes purement musicaux. Public captivé et captif, tout comme moi, qui suis de surcroît ravi d’avoir révisé mon jugement…. Supplément de bonheur : en sortant de la salle, lumière du soir sous les arches du Pont de Loire….
GUILLAUME de CHASSY «Pour Barbara»
Guillaume de Chassy (piano solo)
Nevers, La Maison, 4 juin 2021, 12h30
Le concert aurait dû avoir lieu au Théâtre Municipal le 11 novembre dernier : festival passé sous les fourches covid de l’annulation…. Le voici enfin, dans la grande salle de La Maison (de la culture)
«Pour Barbara», c’est un disque du pianiste paru en 2019 chez NoMadMusic. Et un programme de concert inauguré à la Philharmonie de Paris en 2017, puis repris à la Maison de la Radio (désormais ‘et de la Musique’) et ailleurs. Mais c’est avant tout un message personnel, une cérémonie secrète tramée par le pianiste pour cette chanteuse qui n’a jamais cessé de le bouleverser depuis des décennies. Ce qui l’inspire au moins autant que les musiques, ce sont les textes. C’est sur eux qu’il appuie son interprétation pianistique, dans la construction formelle comme dans l’improvisation. Dis, quand reviendras tu ? est précédé d’une sorte de prélude et s’expose en variations avant qu’un tsunami de main gauche ne tente de submerger la ligne mélodique soutenue par la main droite. Puis Gottingen délivre des trésors de douce mélancolie. Voici maintenant Les Rapaces, version assez survoltée dans laquelle va se glisser un autre oiseau de proie : L’aigle noir. Puis le pianiste détaille minutieusement les lignes de Nantes. C’est sombre toujours, mais la simple beauté mélodique a presque valeur de rédemption. Une petite cantate verra sa légèreté submergée par un torrent digne de Khatchaturian. Vient la seule composition du pianiste, simplement titrée Pour Barbara , une valse mélancolique (avec ou sans langoureux vertige, c’est au choix….). Cette fois c’est la mélodie jouée dans les basses qui sera engloutie par une torrentielle main droite. Les émotions violentes se superposent aux émois nostalgiques. Pour conclure c’est Septembre (encore un trésor de mélancolie), un thème qui ne figure pas sur le disque mais qui a les honneurs du concert. Le piano de Guillaume de Chassy parle en notes le texte de la chanson. On est sur les sommets de l’expressivité. Deux rappels sans Barbara : une impro qui débouchera sur L’Âme des poètes, de Charles Trenet, et un thème inédit du pianiste qui figurera sur son prochain disque, qu’il vient d’enregistrer. Ce concert fut tout à la fois un grand moment de musique, un cri d’amour pour Barbara, qui écrivait, composait et chantait comme personne, et un grand moment de liberté musicale, quand l’improvisation se libère, sans jamais renier ses sources. Belle conclusion pour le chroniqueur d’un séjour neversois qui dura moins de trente heures. Sur le petit livret-programme, la dernière page nous donne rendez-vous en novembre pour une édition complète : nous y serons !
Xavier Prévost