Jazz live
Publié le 16 Juil 2021

Jazz à Luz 2021 : Jour 4

Jazz à Luz fête comme il se doit ses 30 ans d'existence.

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, Château Sainte-Marie, 6h00

Ensemble Liken & Albert Marcoeur

Simona Castria (ts), Xavière Fertin (cl), Victor Aubert (elg), Quentin Coppalle (fl), Pierre Juillard (orgue d’ardoise, paysage sonore), Léo Margue (C Melody), Albert Marcoeur (vx, lecture), Timothée Quost (composition, mise en scène), Louis Siracusa (cb), Loic Vergnaux (cl, bcl), Jean Wagner (cor)

5h30, l’heure pour les plus téméraires des festivaliers de se rendre à la chapelle Sainte-Marie qui surplombe Luz.

Contrairement à ce qu’annonce le programme, nous n’aurons pas de lever de soleil, la faute à des nuages aimantés à la montagne. Il chuinte un peu. Deux pipistrelles virgulent en nous affirmant et réaffirmant qu’il est bien tard pour une telle manifestation.

Des sons-signaux, slaps claqués de la contrebasse et de la guitare électrique, annoncent le début de la lecture du Walden de Thoreau par Albert Marcoeur. Tout du long, les parties musicales complètent, commentent, illustrent le contenu du texte, figurant tels sons évoqués par Thoreau, approfondissant telle ou telle métaphore. De brusques éclats de décibels surgissent lorsque l’agacement du texte l’exige. On aime le son du cor, ce matin, au fond des bois ; plus tard une flûte messianesque ; auparavant des accords tenus d’allure spectrale.

Timothée Quost, le metteur en scène et compositeur du projet, a pris en compte toutes les dimensions du cadre. Il joue ainsi autant avec l’espace – au loin, derrière, sur les côtés, au milieu des spectateurs, etc. – qu’avec les timbres – frottés, grattés, striés, criés, etc. L’ensemble possède une structure millimétrée, profondément pensée, qui trouve son équilibre entre écriture et improvisation.

Le rendu global possède cependant sans doute moins de charme en l’absence du lever de l’astre solaire désiré, un événement toujours magique, jamais assez savouré. Raison, peut-être, pour une perception plus critique où l’on se demande pourquoi les musiciens s’ingénient à faire parfois le contraire de ce à quoi aspirait Thoreau : la solitude, le calme, la communion avec les éléments – en particulier lorsque la guitare électrique envoie un riff un peu virulent pour 6h30 du matin. Mais ceci n’est qu’une perception singulière, car l’enthousiasme fut grand à l’issue de la représentation. Et l’on peut ainsi d’autant plus affirmer l’autonomie de la réalisation puisque qu’elle fonctionne même sans aube ni aurore comme clous du spectacle.

 

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, Maison de la vallée, 11h00

Bleu solo

Soizic Lebrat (vlle), Yan Breuleux (vidéo)

À l’image à la projection vidéo de Yan Breuleux, Soizic Lebrat a choisi une approche monochrome de l’improvisation, Qu’est-ce à dire ? Au lieu d’un temps pulsé, son improvisation paraît volontairement sans nerf – et sans blues en dépit de l’omniprésence du bleu. Il s’agit d’un flux liquide de sons évoluant lentement, où seuls, peut-être, comptent les inflexions micro-tonales avant un déplacement du centre d’intérêt vers la production d’un bourdon ou vers l’usage d’harmoniques en plus de quelques arpèges parfois vite lâchés. Les figures géométriques bleues qui nimbent sa silhouette semblent autant s’auto-générer que réagir aux propositions de la violoncelliste. On se laisse porter par l’ambiance, mais sans vraiment en devenir captivé.

 

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, chapiteau, 15h00

La Baraque à free

Sarah Brault (vx), Marion Josserand (vl), Antoine Ferris (cb, électroniques), Cédric Laval (elg), Julien Massol (bs), Florian Muller (elb), Sylvain Rey (p, kb), Simon Riou (as), Ludovic Schmidt (tp), Arnaud Sontag (dr).

Sans conteste, à la fin de leur concert La Baraque à free remporte le plus d’adhésions. Ce jeune collectif toulousain s’est formé suite à la rencontre des protagonistes dans la classe d’improvisation libre tenue par Christine Wodrascka au département de musicologie de l’Université Toulouse Jean Jaurès. Descendants de la pianiste, leurs membres ont bien d’autres filiations, aussi diverses que leurs personnalités, tels les dérivés du rock, d’In Love With, de John Zorn, de Walter Johnson ou des musiques électro. Collectif fondé sur une pratique musicale et sociale horizontale, le fruit de leur résidence à Luz prend l’aspect d’une synthèse de toutes ses tendances. Entre leurs mains, sound painting, cellule obstinée, exultation free ou fanfare ne sont que des outils qu’ils maîtrisent au mieux, de mieux en mieux.

Mais au-delà des aspects techniques, stylistiques ou esthétiques, si le public sortit unanimement le sourire jusqu’aux oreilles (le sourire partant des oreilles, pour une fois) c’est sans doute avant tout du fait de l’enthousiasme de la formation, de la joie manifestement immense à se produire ensemble entre eux et pour les autres, du fait d’une euphorie communicative et exaltante, et plus encore peut-être engagement engagé – qu’on me pardonne le pléonasme, mais il indique combien l’engagement dans une voie peut devenir routine s’y l’on n’y prend garde. La découverte du festival, découverte au futur à l’évidence aussi radieux que son présent !

 

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, Verger, 19h00

Brunoï Zarn « Ghost Rider »

Brunoï Zarn (vx, elg, theremin, kb, pianocaster)

Seul sur scène, Brunoï Zarn relève le challenge de se faire groupe de rock à lui tout seul. Pour cela, il utilise la voix, un vieux clavier électrique, son pied pour taper le tempo et des pédales loop. En abordant le thème de Ghost Rider, j’ai d’abord songé par analogie à ce motard mort-vivant, anti-héros de la BD fantastique à la chevelure de feu. En réalité, comme la lecture du programme me l’apprit après le concert, il s’agissait de visiter le Ghost Rider du groupe Suicide. Que ce soit l’une ou l’autre thématique, le titre même annonce la couleur : musique sombre, rock’n’psychédélique, issue de la culture américaine (usage du slide et de l’harmonica, la langue chantée), bâtie sur de longues autoroutes rythmiques. Cela sonne parfois hendrixien, d’autres fois plus rock’n’roll. Excellent guitariste rythmique, on aurait envie parfois qu’il se lâche davantage en solo – mais sans doute faudrait-il alors des accompagnateurs vivants pour le faire descendre au septième cercle de l’enfer.

 

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, chapiteau, 21h30

Bégayer

Loup Uberto (vx, luths, begena, cornemuses), Lucas Ravinale (vx, begena, tamburelli, objets sonores), Alexis Vinéïs, Jean-Philippe Curtelin (dr, perc), Etienne Foyer (son, perche, spacialisation)

Avec Bégayer qui emprunte sans état d’âme mais avec conscience à toutes les traditions du monde – salsa brésilienne, polyrythmies africaines, mais aussi punk, improvisation libre, etc. –, il s’agit de nouveau d’une musique du rite. Les éléments naturels ont aussi droit de cité en début de concert ; puis une caravane passe avant que l’on se retrouve dans un quartier de réfugiés pakistanais à New York, non loin d’autres, Gwanas. Portés par deux batteurs souvent rejoints par le tamburelli de Lucas Ravinate, Loup Uberto finit par entrer en transe, se retrouvant bientôt dans le public qu’il finit par faire lever à lui tout seul. La communion corporelle est lancée, et ne sera plus rompue.

Quasi dernier concert du festival, celui-ci m’amène à faire un bilan du festival. Force est de constater qu’à quelques rares exceptions près (dont la Baraque à free) la plupart des prestations relevèrent du rite soit par la dimension répétitive, soit par de l’improvisation libre texturale ; le principe du développement n’a jamais été convoqué (y compris par la Baraque à free) au bénéfice de l’immobilisme ou de l’évolution lente (voire du zapping avec la Baraque à free). Par ailleurs, les démarches artistiques reposèrent le plus souvent sur le principe de l’horizontalité (improvisation collective, absence de leader donc avec peu de solos, etc.) ainsi que, assez souvent, sur l’évocation de la nature, certes du fait du cadre pyrénéen mais sans doute pas uniquement (les confinements sont passés par là). Enfin, les esthétiques présentées possédaient toutes ou presque, même à leur corps défendant, un rapport manifeste au passé – le Bridge et la Baraque à free cherchant le plus à exprimer une musique du moment présent sans pour autant faire tabula rasa du passé – à savoir majoritairement des musiques traditionnelles/du monde (d’avant) revisitées/actualisées et du free et/ou de l’improvisation non-idiomatique filles des années 1960-1970 avec des touches (plutôt que des dominantes) actuelles. S’agirait-il dès lors de rites qui sacralisent le passé ou la nature pour ce qu’elle pouvait avoir d’apparemment éternelle (et qu’elle n’a plus), ou des deux ? Ou encore s’agissait-il du sacre d’un rassemblement retrouvé, d’un rite tribal dont la musique est l’objet vénéré (mais qu’est-ce que la musique ?) ?

 

Lundi 12 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, festival Jazz à Luz, Verger, 23h30

Tracteur

Jean-Baptiste Dermasles (vl, tsouras), Alix Carriay (elg, bouzouki), Simon Barbe (kb, acc), Mikaël Leguillou (cb, elg, cor), Xavier Tabard (dr), Yannick Favorel (mixage et effets)

Loin de toute métaphysique, Tracteur clôturait la trentième édition de Jazz à Luz. Dans le verger, sous une nuit avec nuages, les quatre musiciens animèrent le passage du lundi au mardi avec une musique reposant à la fois sur l’énergie, la bonne humeur, exultation, la déconnade et une sérieuse compétence musicale, ce qui n’est pas toujours le cas. Ils jouèrent ainsi par exemple des morceaux d’inspiration pseudo-balkaniques aux métriques asymétriques, soignèrent la structure et l’instrumentation, le tout parfois agrémenté du cor merveilleux grolandais.

 

Ludovic Florin