Jazz à Junas (suite) – 22/ 24 juillet 2021
JAZZ A JUNAS (suite)
22 -24 juillet 2021
Suite à l’article de Xavier Prévost, qui a couvert l’ouverture du Festival « Jazz à Junas » publié sur ce site le 22 juillet, je prends le relais pour vous parler des trois jours qui ont suivis.
Le jeudi 22 juillet à 18 h, nous avons eu le plaisir d’assister au concert (gratuit) du Trio de Céline Bonacina, place de l’Avenir. Le hasard de la programmation a bien fait les choses puisque la veille, à la même heure et au même endroit, nous avons assisté au projet « Identité » du saxophoniste Gaël Horellou, centré sur la musique de l’île de la Réunion (Le Maloya). Il se trouve que la saxophoniste Céline Bonacina connaît parfaitement bien cette musique puisqu’elle a vécu pendant sept ans à la Réunion ! Il y en a d’ailleurs des réminiscences dans son nouveau projet « Fly Fly » porté par un univers musical singulier et une grande sensibilité. Un trio subtil et soudé où le saxophone baryton (et parfois soprano) se pose sur une rythmique solide et inventive avec le contrebassiste Chris Jennings (qui amène aussi quelques compositions) et le talentueux Jean-Luc Di Fraya à la batterie et aux vocalises. Des compositions qui évoquent un sentiment de liberté autour de souvenirs de voyages, mais aussi une façon de vouloir sortir de son enveloppe corporelle pour un envol céleste sous forme de quête spirituelle.
A peine sorti du concert de Céline Bonacina, le batteur Jean-Luc Di Fraya enchaînait sur la scène des Carrières avec le trio de la pianiste Perrine Mansuy, en compagnie du contrebassiste Simon Tailleu et d’une invitée exceptionnelle en la personne de la flûtiste Naïssam Jalal. Sur ce projet inédit (pas encore enregistré) intitulé « West Of The Moon », Perrine Mansuy a écrit de fort belles compositions au lyrisme revendiqué, en offrant un très bel espace créatif à la flûte de Naïssam Jalal. Les deux femmes se connaissent bien et partagent l’amour de la mélodie, de la poésie musicale et des voyages oniriques, portés par une douce trance et une rythmique aussi inventive qu’efficace.
Cette fois-ci, c’est le contrebassiste Simon Tailleu qui va enchaîner deux concerts en rejoignant la formation (inédite) du saxophoniste Sylvain Rifflet, venu remplacer au pied levé le saxophoniste Guillaume Perret initialement prévu. Sylvain Rifflet a réussi en à peine 24 h la gageure de réunir un groupe et de proposer un programme. Un projet musical autour de morceaux issus du répertoire de Stan Getz, formidablement porté par le batteur Ziv Ravitz, la chanteuse Célia Kameni et le guitariste Nelson Veras. Tout a commencé par une superbe version de Line For Lyons (de Gerry Mulligan) joué en duo saxophone ténor-batterie, puis ce fût au tour du standard Pennies From Heaven, joué cette fois-ci en quartette. Nous avons eu droit à un long moment consacré au répertoire bossa-nova de Stan Getz, où Sylvain Rifflet a pris un grand plaisir à souffler dans son ténor en contrechant de la sublime chanteuse Célia Kaméni (beaucoup plus convaincante à mon sens qu’Astrud Gilberto) qui chantait avec beaucoup de conviction et de sensualité, dans un brésilien absolument parfait, ce répertoire qui plaît toujours autant au public. Le génial et atypique guitariste Nelson Véras (d’origine brésilienne) fût le guitariste idéal pour interpréter dans une optique jazz ces fabuleuses chansons créés par Joao Gilberto. Célia Kaméni nous a une fois de plus bouleversés dans l’interprétation de deux chansons d’Abbey Lincoln (Bird Alone et And How I Hoped For Your Love) créé à l’origine avec Stan Getz en 1991 (juste avant que celui-ci ne disparaisse). Enfin Sylvain Rifflet a aussi voulu rende hommage au fameux groupe européen « Dynasty » que Stan Getz créa en 1971 en interprétant une fort belle version de Dum Dum Dum.
Le vendredi 23 juillet à 18h, dans le cadre de concerts gratuits place de l’Avenir, l’avenir était effectivement au rendez-vous avec le trio du pianiste Etienne Manchon avec Clément Daldosso à la contrebasse et Théo Moutou à la batterie. Un trio de jeunes musiciens extrêmement matures, qui à travers des compositions fort bien construites, développent un univers singulier particulièrement prégnant autour d’une belle et forte interaction musicale. On attend avec impatience l’enregistrement des morceaux de leur deuxième album actuellement en work in progress.
A 21 h, les concerts dans les Carrières débutèrent par une remarquable prestation solo de notre Björk à nous, j’ai nommé la chanteuse et harpiste Laura Perrudin, toujours aussi ensorceleuse et envoûtante. A l’aide de boucles sonores et de samples, elle construit une remarquable architecture sonore avec sa voix fascinante et sa harpe magique, afin de nous emmener très loin, dans son monde onirique où l’on tutoie à la fois les anges et les diablotins…
Ce soir là, la lune était pleine, mais malheureusement peu visible car camouflée par une couche de nuages. Dommage car cette date était fort bien choisie pour accueillir le projet « Lune Rouge » du trompettiste suisse Erik Truffaz. Un concert particulièrement planant et onirique autour de la trompette atmosphérique de Truffaz, où l’acoustique et l’électronique font bon ménage autour des différents claviers de Benoît Corboz, de la basse de Marcello Giuliani et de la batterie du jeune Tao Ehrlich.
Droits pour web Jazz Mag Only © Patrick Martineau
La soirée de clôture du samedi 24 juillet était consacrée à deux groupes phares du jazz français d’aujourd’hui avec des musiciens de la même génération qui se connaissent bien et qui s’apprécient. Pour commencer, la scène était investit par Le Sacre du Tympan dans sa version Cinémascope, c’est-à-dire avec une équipe de soufflants et un quatuor à cordes, autour du projet « L’Odyssée». Des compositions remarquablement écrites et orchestrés par le leader (et bassiste) Fred Pallem qui sont un peu la bande son d’un film imaginaire avec des thèmes particulièrement prégnants où les fantômes d’Ennio Morricone et de François de Roubaix rôdent….
Et pour finir, le saxophoniste et chanteur Thomas de Pourquery convia son Supersonic (Laurent Bardainne, Fabrice Martinez, Arnaud Roulin, Fréderick Gallay, Edward Perraud) afin de présenter leur tout nouvel et troisième album (à paraître le 17 septembre) : « Back to the Moon ». Un répertoire neuf et très excitant, où le sextette réussit parfaitement bien la symbiose entre un univers de chansons pop déjantées et un jazz spirituel exigeant où plane l’ombre de Sun Ra. La lune, toujours aussi pleine, fît son apparition et envoya au groupe d’excellentes vibrations en leur insufflant une énergie démultipliée et fortement communicative. Au rappel, tout le monde était debout et dansait autour d’une remarquable version de Space Is The Place où les six membres du Supersonic convièrent les quatre soufflants du Sacre du Tympan (Rémi Scuito, Christine Roch, Sylvain Bardiau, Robinson Khoury) ainsi que le batteur Vincent Taeger aux bongos.
Un festival qui finit en feu d’artifice et qui nous a fortement séduit durant quatre soirées mémorables, à la fois festives et exigeantes, où le soleil avait constamment rendez-vous avec la lune !
Lionel Eskenazi.