Jazz Campus en Clunisois finit en beauté avec le No rush du Megaoctet
Suite et fin de mon séjour à Cluny pour le dernier festival de l’été. Quelle plus belle conclusion pour cette 44ème édition que d’accueillir Andy Emler et son Megaoctet.
Mais revenons d’abord sur la matinée au parc de l’abbatiale, alors que les techniciens préparent le site du concert du soir.
Le samedi, « Jazz Campus en Clunisois », c’est d’abord la fête des stagiaires et la restitution de leur travail d’ateliers.
Pendant toute la semaine du festival , 80 stagiaires étudient dans huit ateliers répartis dans Cluny avec de formidables musiciens professionnels. L’ambiance est détendue mais studieuse.
Cluny a commencé avec les stages
Le contrebassiste Didier Levallet, originaire de l’Yonne, souhaitait réveiller culturellement la région, en testant, dès le mitan des années soixante-dix, une formule de stages d’une semaine pour développer la pratique instrumentale, le plaisir collectif du partage. Le festival commença dès qu’il y eut un budget pour les concerts avec une première affiche Martial Solal, Michel Portal, et le Workshop de Lyon.
Les stages sont donc le coeur de Jazz campus, orientés vers une pratique et une expérience collectives qui tournent souvent autour de l’improvisation et de sa mise en place. Les enseignants changent au bout de trois ans, très motivés par cette expérience complémentaire à leur pratique musicale.
Stage de Jazz 2021 – Festival et stage de Jazz à Cluny en Bourgogne (jazzcampus.fr)
Le premier public du festival, le plus impliqué, souvent le plus enthousiaste, ce sont les stagiaires. Viennent ensuite les amateurs de jazz du Clunisois mais aussi de Chalon ou Macon qui ont leurs scènes de jazz, le Crescent et l’Arrosoir! Ce qui plaît à Didier Levallet, ce sont les personnes assez ouvertes d’esprit pour venir écouter sans savoir ce qu’ils vont entendre, qui n’hésitent pas à prendre le risque, car ils sont en confiance. Ainsi l’ hôtelier du St Odilon est venu deux fois cette semaine écouter Pierre Durand qu’il hébergeait et Suzanne Abbuehl.
Sylvie, la disquaire itinérante à vélo (www.ohdesdisques.com)
Samedi 30 Août : Le Megaoctet, soirée de clôture
C’est un programme tout nouveau que les neuf musiciens nous présentent à Cluny, après une “répétition” le 10 juillet dernier, au Triton des Lilas ; ils partent d’ailleurs dès le lendemain enregistrer à la Buissonne ce No Rush chez Gérard de Haro qui produira l’album.
On est toujours impressionné par la capacité du chef à canaliser l’énergie de sa troupe qui file d’autant plus droit que le programme se rode. D’ailleurs, à un moment délicat, Andy Emler viendra diriger les soufflants.
Dans ce véritable projet collectif, chacun tient sérieusement sa place tout en donnant une fausse impression de joyeux chaos, de jubilation potache.
Et ça commence avec des facéties: le tubiste François Thuillier, revenu depuis son concert 60% de grave mardi dernier, s’est perché tel le seigneur de la Tour Ronde. Il nous gratifie d’un solo impressionnant alors que surgit du public, étagé en gradins, le troubadour Laurent Dehors, toujours de blanc vêtu, au son de sa cornemuse-musette!
On plonge tout de suite dans la musique immédiatement identifiable du Megaoctet, créé en 1989 par le pianiste Andy Emler. Megaoctet parce qu’ils ne sont pas huit mais neuf et cette aventure se poursuit en dépit de difficultés multiples (dont celle de faire tourner un grand format) avec quelques-uns des plus grands musiciens de jazz actuels.
Toujours fidèles depuis les origines, le stupéfiant François Verly se démène de la marimba aux percus de toutes sortes, colorant de ses interventions la rythmique diabolique de Claude Tchamitchian à la contrebasse, d’Eric Echampard à la batterie, renforcée par François Thuillier au tuba.
Quelques soufflants se sont fait remplacer certaines années quand ils ne pouvaient faire autrement mais on retrouve Laurent Blondiau à la trompette, au sax alto Philippe Sellam et Guillaume Orti présent depuis huit saisons.
Une « immersion musicale décalée » dans le jazz, le rock, le classique contemporain, une musique où l’espace est travaillé depuis le piano. A l’intérieur d’une même composition, les rythmes changent, comme pendant tout le concert, chaque pièce a sa place dans le tableau ainsi construit. On retrouve dans des suites des échos d’anciens thèmes, des citations de motifs réarrangés, des riffs funk, des contrechants, des soli épatants- il faudrait les citer tous, celui de Philippe Sellam en tout début et plus tardivement, celui de Tcham avec un réglage spécial de sa contrebasse, qui résonne étrangement dans la nuit.
Sans doute le Mégaoctet est l’une des grandes formations que j’ai le plus entendues ces dernières années, toujours à la hauteur de mes attentes. Que peut-on encore écrire qui n’ait déjà été dit sur cette belle machine à «groover»? Le nonet a remporté tous les suffrages, reconnu pour le talent d’écriture d’ Andy Emler dont la musique est lyrique sans académismes, faite de ruptures décisives, avec un sens impertinent du collage.
Les souffleurs ont une place de choix, ils occupent la “front line” dans cette architecture délicate, au sein d’un ensemble d’une mécanique de haute précision. Ce sont les instrumentistes qui inspirent le compositeur qui écrit «sur mesure» composant soigneusement ses thèmes, combinant les timbres, travaillant la flamboyance, les alliages de couleurs insolites. Ainsi François Thuillier, en front line lui aussi, prend la place du trombone.
Jamais tout à fait là où on l’attendrait, le Méga avec «engagement» de tous les instants comme dans le titre du morceau et de l’album “Crouch, Touch and Engage” qui décrit le comportement d’équipe (au rugby), a conquis une fois encore son public. L’été se termine mais cette dernière soirée remuait dans une nuit doucement étoilée, pas trop froide. Parfaite pour clôturer cette édition de reprise.
Sophie Chambon
Les photos de tous les articles de Jazz Campus sont de Marc Bonnetain!https://www.lejsl.com/recherche?x=0&y=0&q=jazz+campus&x=1&y=1