PARFUM DE JAZZ (22) INTERNATIONAL JAZZ LADIES FESTIVAL (III)
Cet étonnant (à plus d’un titre) festival est itinérant. Une quinzaine de communes des Baronnies, de la Drôme Provencale et du Tricastin ont été « visitées ».
Innovation, cette année Parfum de Jazz est même allé faire un petit tour en Ardèche, département voisin!
Toutes ces communes ont un point commun. Ce sont des magnifiques spots touristiques : parc naturel, lavandes, vignobles, oliveraies, truffes, villages perchés, cols offrant de magnifiques panoramas, marchés provençaux, thermalisme, vias ferratas… Le sud de la Drôme est un paradis pour les randonneurs, les cyclotouristes, les grimpeurs et les amateurs de bonne chère (locavores bienvenus !).
« C’est ici que le festival Parfum de Jazz fait l’école buissonnière » (in Le Monde 3 août 2021).
Buis les Baronnies et le jazz : une longue et belle histoire.
Le temps des copains…
Ce n’est pas un hasard si PDJ en 2021 proposait sa 22ème édition avec, en première semaine, Buis Les Baronnies comme épicentre.
En 1970 et 1971 des élèves et anciens élèves de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Valence (préfecture de la Drôme) étaient venus, en stage résidentiel sous l’égide de la Fédération des Oeuvres Laïques, donner plusieurs concerts (de jazz et de chant choral) en Drôme Provencale.
28 ans plus tard PDJ naissait… La gestation fut longue, mais féconde. Les « meneurs », 50 ans plus tard, étaient toujours là et bien là…
Pour fêter cette belle histoire ils montèrent un groupe le « Fifty’s Revival », se promenèrent dans les rues de Buis les Baronnies sur une charrette et donnèrent plusieurs concerts gratuits… Le Fifty’s est composé d’anciens de l’Ecole Normale de Valence : Denis Fustier (p) , Bob Faresse (dr), Jean-Jacques Taïb (cl, ss), Alain Brunet (tp, bg, sifflet), et de nouveaux compagnons comme Jean-Pierre Martinez (g), Christian Roy (as), Marc Masson (eb) et Hidehiko Kan (dr).
Alain Brunet (président de l’association PDJ, programmateur du festival et… trompettiste) septuagénaire en pleine forme et hyperactif fut, comme toujours, omniprésent, plusieurs de ses collègues des années 70 à ses côtés, comme Robert Faresse (batteur et… trésorier de l’association) et Jean-Jacques Taieb (clarinettiste et saxo-sopraniste).
Mais les « anciens » organisèrent aussi une exposition qui « racontait » avec moult photos et textes nostalgiques cette aventure. Ils publièrent dans une élégante brochure (« 50 ans de Jazz à Buis ») à la mise en page remarquable les textes et photos de l’exposition. Bernard Chambre (responsable par ailleurs du festival de jazz de Saint Rémy de Provence) avait concocté pour l’occasion un texte narrant cette étonnante aventure : « C’est un beau roman ».
Cerise sur le gâteau… du street art ! Plusieurs photos de l’exposition, agrandies et retravaillées, étaient « affichées » sur des murs de rues et venelles de la commune.
Cette brochure (avec beaucoup de photos « d’époque ») est téléchargeable avec ce lien : https://www.parfumdejazz.com/wp-content/uploads/2020/02/Livret-50-ans_compressed.pdf
Comme partout à PDJ les règles sanitaires furent appliquées. Des tests gratuits avec résultats rapides étaient proposés pour que les spectateurs potentiels qui ne détenaient pas leur pass sanitaire puissent assister aux concerts.
Les concerts du soir de la programmation en Drôme Provencale
Mardi 10 août Montbrun les Bains
Gasy Jazz Project
Gabrielle Randrian Koehlhoeffer (contrebasse), Daniel Moreau (piano), Fabrice Thompson (percussions).Devant le magnifique beffroi médiéval de Montbrun-les-Bains, la rayonnante trentenaire franco-malgache Gabrielle Randrian Koehlhoeffer, au riche CV nourri de moult influences, propose à partir d’un répertoire original l’univers métissé de son projet Gasy Jazz Project. Gasy est le diminutif de malgasy (qui signifie malgache). « Je vous emmène en voyage, à Madagascar mais pas que… » nous dit-elle d’entrée en souriant… Elle a choisi pour ce faire deux musiciens évidemment ouverts aux horizons inédits : le pianiste Daniel Moreau et le percussionniste Fabrice Thompson. Daniel est montpelliérain et Fabrice, guyanais.La belle et évidente complicité entre les membres du trio engendre de longues et singulières improvisations, imprégnées de leurs cultures, de leurs parcours, et de leurs rencontres avec le jazz. La musique traditionnelle malgache est bien sûr très présente tout au long du concert. Evoquée dans de nombreux morceaux : Tany (terre), Anjiro (terre de sa famille) ou Belo (rythme traditionnel des Hauts plateaux de Tananarive). Un concert avec toutes les séductions d’un voyage : surprises et découvertes…
Public composé majoritairement de touristes qui découvrent enchantés la Drôme et… un jazz « hors des sentiers battus » !
Gabrielle comme Daniel Moreau ont étudié (et maintenant enseigné pour Daniel) au CRR de Montpellier sous la houlette et les bonnes influences de Serge Lazarevitch, guitariste premium et pédagogue hors-pair.
Mercredi 11 août/ Buis Les Baronnies (Théâtre de verdure)
Première partie : Carine Bonnefoy Trio
Carine Bonnefoy (piano), Felipe Cabrera (contrebasse), Julie Saury (batterie).
Le trio piano / contrebasse / batterie est une formule magique qui a marqué l’histoire du jazz (d’Art Tatum à Brad Mehldau).
Le trio de Carine Bonnefoy existe depuis longtemps. Cela s’entend et … se voit! Complicité. Ecoute mutuelle. Osmose. Dans ce trio fusionnel l’interaction entre chaque musicien est permanente. Carine au jeu intense, Felipe Cabrera (cubain de Paris…) au son de basse rond et puissant et Julie subtile, swinguante et précise « drummeuse » (batteuse ? Batteriste ?… les débats sont ouverts!).
Le trio a joué uniquement des compositions personnelles. Carine nous offre avec son groupe une prestation où chaque musicien a une importance considérable, pas vraiment d’instrument leader, mais une belle osmose entre les trois artistes, une écoute mutuelle, une mise en valeur de chacun par les deux autres, successivement voire concomitamment. Carine Bonnefoy maîtrise brillamment son clavier avec énergie, Julie Saury joue de ses caisses, toms et cymbales comme un peintre de sa palette de couleurs et Felipe Cabrera dont le feeling, la puissance et la chaleur de son jeu sont simplement magnifiques… le tout lié, inséparable, envoûtant …
Jeux rythmiques complexes, ostinatos entêtants, accords plaqués puissamment : le trio joue somptueusement avec les mélodies…
Les morceaux présentés étaient uniquement des compositions personnelles des trois artistes, enregistrés dans les deux derniers albums du trio parus récemment : «The hiding place » et « Today Is Tomorrow ».
Play list : Vertigo, Through the Clouds, The Hiding Place, Today Is Tomorrow de Carine Bonnefoy, Laissez-moi de Julie Saury (la talentueuse Julie compose et fort joliment), Arufe et Samuel de Felipe Cabrera, morceau dédié à l’un de ses fils, comme une comptine délicate.
Seconde partie : Joelle Léandre/Myra Melford/Lauren Newton
Joelle Léandre (cb/voix), Myra Milford (p), Lauren Newton (voc).
Daniel Baillon travaille étroitement avec le Président A.Brunet à la programmation de PDJ. Il lui a proposé que le surprenant (pour le dire vite…) trio Léandre/Melford/Newton soit à l’affiche cette année. Problème pour les taxinomistes obsessionnels : où « ranger » la musique jouée par ces trois incroyables et inclassables créatrices ?
Avant garde ? Musique contemporaine ? Impros totales ? Nouvelles musiques ? Open music ? Free Jazz ?
Pas « jazz/jazz » en tout cas !
Quelques habitués de PDJ étaient troublés… Même si les programmations ont toujours été ici très ouvertes jusqu’aux formes les plus avancées du jazz moderne comment allaient réagir les fidèles du festival ?
La projection dans l’après midi du remarquable film/documentaire Affamée de Christian Pouget, consacré à J.Léandre avait permis de « défricher » le terrain… On y découvre la forte personnalité de Joelle qui y annonce avec fermeté qu’elle joue en permanence la contemporanéité et qu’elle « ne lâche jamais »…
Le concert du soir allait confirmer.
Belle et surprenante histoire qui se construit sur l’instant.
Solos, duos, trios : toujours ébouriffants, inattendus, déconcertants, sidérants…
Myra Milford, frêle et (apparemment) fragile jeune femme « fait faire à son piano des choses pour lesquelles il ne paraissait avoir été conçu » (in San Fransisco Chronicle). Lauren Newton joue de sa voix ultra maitrisée en de multiples registres et utilise son microphone personnel (angles, distances) de manière impressionnante. Joelle Léandre montre en permanence comment elle « détourne » son immense technique instrumentale avec talent, énergie et humour.
Aucune règle apparente repérable dans le fonctionnement du trio, rien de prévisible en solo comme dans les interactions collectives sauf la recherche, réussie, du plaisir partagé dans la chaleur des échanges.
La pique de la contrebasse de Joelle s’étant « rétractée » (mal bloquée ?) celle-ci s’est soudainement « affaissée » d’une quinzaine de centimètres. Belle occasion d’une séquence clownesque, drôle visuellement et inventive musicalement.
Rappel et applaudissements chaleureux : l’« audace » de programmation pleinement acceptée ! Soulagement des programmateurs !
Jeudi 12 août/ Buis Les Baronnies (Théâtre de verdure)
SARĀB
Climène Zarkan (voix), Thibault Gomez (piano Fender Rhodes, voix), Baptiste Ferrandis (guitare), Robinson Khoury (trombone, voix), Timothée Robert (basse électrique), Paul Berne (batterie).
Photo
Sarāb signifie « mirage » en arabe.
Le groupe est né de la rencontre de la chanteuse et musicienne franco syrienne Climène Zarkan et du guitariste Baptiste Ferrandis. Le projet s’est étoffé avec l’arrivée de jeunes musiciens aux CV diversifiés.
Projet : mixer la vitalité du jazz contemporain et l’infinie richesse des musiques traditionnelles du Moyen-Orient. Harmonies du jazz, énergie du rock, et rythmes du monde. Le résultat est étonnant, stimulant , original, jouant sur les contrastes entre la puissance instrumentale du quintet instrumental et la délicatesse du chant de Climène.
Les compositions originales sont inspirées de mélopées syriennes et libanaises mais… paradoxalement aucun instrument oriental dans le groupe ! Trombone et piano sont jazzy. Guitare, basse et batterie sont « rock ». Cela débouche sur une fusion étonnante.
Des chansons d’amour alternent avec des textes engagés dont un, issu de la rencontre avec l’écrivain de science-fiction Alain Damasio, présent virtuellement via un enregistrement de sa voix.
Le thème Lilith est un hommage à la première femme, insoumise, d’Adam… un choix qui ne doit rien au hasard !
Robin Khoury (25 ans seulement!) au trombone et aux vocaux est époustouflant. Il joue actuellement dans de très nombreux projets variés. Ultra sollicité car il est à l’aise et brillant dans de multiples registres.
Ici il a chanté plusieurs fois en arabe (appris phonétiquement?) à l’unisson avec la chanteuse. Impressionnant.
Au rappel c’est lui qui a proposé au public de venir danser devant la scène. Belle initiative : des danseurs de tous âges se sont « éclatés » (comme on disait antan…).
Vendredi 13 août/ Buis Les Baronnies (Théâtre de verdure)
Leïla Olivesi Nonet
Leïla Olivesi: piano, direction ; Quentin Ghomari: trompette ; César Poirier: sax alto, clarinette ; Adrien Sanchez: sax ténor ; Jean-Charles Richard: sax baryton, sax soprano ; Fidel Fourneyron: trombone ; Manu Codjia: guitare ; Yoni Zelnik: contrebasse ; Donald Kontomanou: batterie + Chloé Cailleton: voix
Leïla, la quarantaine épanouie, est sympathique, souriante, chaleureuse. Un CV impressionnant : diplômée en philosophie et en musicologie à la Sorbonne, formation musicale de haut niveau (piano jazz, écriture et orchestration). Spécialiste (et amoureuse) de l’oeuvre de Duke Ellington, elle a donné des conférences sur Ellington à la maison du… Duke.
Pour son concert à Buis elle a construit un all star de jazzmen français (casting impressionnant :voir liste ci dessus) qu’elle dirige à la manière d’Ellington. Respectant les sensibilités de chaque musicien.
Emouvante attention : elle dédie son premier morceau à Claude Carrière. Claude est mort récemment. C’était un ellingtonien de haut vol. Petite citation de « Take the A train », intervention du baryton à la Harry Carney…
Puis elle nous offre la Suite Andamane (enregistrée en 2019, encensée par la critique spécialisée) « qui fait alterner tensions et rêveries, nostalgie joyeuse et scintillements innocents, et à laquelle la chanteuse Chloé Cailleton ajoute une touche de fantaisie troublante ». Les solistes ne jouent pas la virtuosité mais la délicatesse, le feeling. Leïla dirige en douceur et pourtant, fermement et avec une grande précision. L’héritage de Duke toujours !
Pour conclure : Satin Doll, bien sûr.
Public conquis…
Deux mentions spéciales (très subjectives) : Manu Codjia au jeu ultra-personnel et qui pourtant s’intègre à tous les projets fort différents auxquels il participe et Fidel Fourneyron tromboniste, qui comme Robinson Khoury la veille, nous a épaté. Une école française de trombonistes inventifs et de haut niveau technique ?
Samedi 14 août/ Buis Les Baronnies (Théâtre de verdure)
MÉLANIE DAHAN QUINTET
Mélanie Dahan (voix), Jeremy Hababou (piano), Jérémy Bruyère (contrebasse, basse), Arthur Alard (batterie), et Benjamin Petit (saxophones).
Double surprise : Mélanie Dahan, chante en français sur un répertoire hors des sentiers battus.
Son projet est dénommé « Le chant des possibles ».
Elle y vocalise sur des mots de Tahar Ben Jelloul extraits de son roman « Cette aveuglante absence de lumière », sur des poèmes d’Andrée Chédid et, surprise, sur des textes de Michel Houellebecq tirés de « La possibilité d’une île ».
Puis elle s’empare de chansons de Charles Aznavour , Georges Brassens, Michel Legrand…
Sur Saturne de Brassens elle invite le pianiste franco-isralélien Jeremy Hababou (qui a composé la plupart des musiques du projet) à chanter avec elle.
Jazz et chanson à texte : « Du Jazz poétique » selon la belle formule de Daniel Baillon (qui a rédigé -brillamment et pédagogiquement- tous les textes du programme).
Mélanie Dahan est une interprète de caractère à la sensibilité exacerbée.
Finale originale pour le dernier concert de la première partie du programme de Parfum de Jazz 2021.
Cinq concerts en Tricastin du 17 au 21 août allaient suivre.
Je n’ai malheureusement, avec regret, pas pu y assister.
La programmation, comme celle de la première semaine était originale et novatrice.
Les têtes d’affiche en témoignent.
- Rachel Therrien, canadienne, trompettiste virtuose,
- La Syrienne Naïssam Jalal et son trio,
- Tullia Morand Orchestra (avec Fabien Ruiz, tape tance),
- et enfin, le projet « Duke Ladies », du big band Duke Orchestra de Laurent Mignard. Un homme tête d’affiche ici… non ce n’est pas une erreur ! Trois ladies et non des moindres sont à l’affiche : Sylvia Howard, Rachelle Plas et… Julie Saury. Car… bien sûr les formations sont mixtes à PDJ !
Sous la direction de Geneviève Manois, PDJ 2021 a aussi proposé, un cycle de conférences passionnantes et « stimulantes » sur la place des femmes, hier et aujourd’hui, dans le monde du jazz.
« Dans le milieu du jazz, comme ailleurs, le chemin pour parvenir sur scène est souvent ardu. Il l’est davantage encore pour les femmes.
Aujourd’hui, quels facteurs influent positivement pour que les artistes féminines de jazz renforcent leur capacité à prendre leur destin en main et puissent accroître leur autonomie? Les musiciennes sortent progressivement de la marginalité et le temps est venu de dépasser les bonnes intentions pour des politiques culturelles conduisant à des programmations artistiques efficientes.
Quelles réponses plus précises ou plus utiles apporter aux femmes artistes de jazz ? » (G. Manois)
Les conférences 2021
- Quatre conférences présentées par Jean Paul Boutelier, fondateur de Jazz à Vienne : Carrières féminines empêchées ou entravées, Les jeux du pouvoir (à partir du film « La première fois que j’ai eu vingt ans »), Le jazz et les droits civiques et Ces femmes qui forgèrent l’histoire du jazz,
- Au-delà du jazz, genre et professions supérieures par Elsa FAVIER docteure en sociologie et Catherine MARRY, sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS,
- Les femmes et Django Reinhardt par Anne Legrand, de l’Académie du Jazz,
- Hollywood et les jazzwomen par … le signataire de ce compte rendu (membre de la rédaction de Jazz Magazine depuis 1969 !).
Plus une table ronde que j’ai eu la plaisir d’animer et qui a suscitée moult interventions : Agent artistique de jazzmen…au féminin : des places à conquérir. Avec Julie Diebolt (agence nuances productions) et Martine Croce (agence autre rivage).
Le remarquable site Jazz Rhone Alpes (ici: https://www.jazz-rhone-alpes.com/) a publié des comptes rendus très complets de toutes ces conférences et de la table ronde. Avec la fonction rechercher de ce site, il est possible de les consulter.
Pierre-Henri Ardonceau
Toutes les photos en noir et blanc illustrant cet article sont d’André Henrot, dit Moustac, qui exposait à Buis les Baronnies ses photos de Jazz Women.
Merci Moustac.