40 ème édition de Jazz Sous les Pommiers (25 – 29 août 2021)
JAZZ SOUS LES POMMIERS : 40 ème EDITION
Coutances – 25 au 29 août 2021
Focus sur des moments particulièrement magiques
Exceptionnellement programmé à la fin du mois d’août pour cause de Covid, la quarantième édition de « Jazz Sous les Pommiers » a tenu toutes ses promesses et a ravi les nombreux spectateurs présents, qui ont fort heureusement joués le jeu du pass sanitaire.
Présent au festival du jeudi 26 au samedi 28 août, je n’ai bien sûr pas assisté à tous les concerts mais je vais vous faire part de mes coups de cœurs à travers des moments particulièrement magiques. Et commençons par le concert de la flutiste et chanteuse Naïssam Jalal en trio, avec le pianiste Leonardo Montana et le contrebassiste Claude Tchamitchian, donné le 26 août à 18 h au Théâtre autour du projet « Quest of the Invisible ».
Une musique de chambre aérienne et spirituelle qui fait place au silence, à l’espace et à la méditation. Une musique sensible à la poésie, à la délicatesse et à l’élégance. Point de swing, ni de groove, mais une très belle interaction jazz entre les trois membres de cette formation autour de cette quête mystique qui cherche à cerner l’invisible. Nous sommes entraînés dans une transe douce, légère et contemplative proche de l’hypnotisme. Avec la musique de Naissam Jalal, nous n’avons besoin d’aucune substance pour littéralement planer et s’extraire de son enveloppe corporelle !
Un peu plus tard, nous avons quitté le ciel pour rejoindre la terre afin d’arriver Salle Marcel Hélie, prêt à assister au concert qui constitue le moment fort de la programmation de cette quarantième édition : Le concert des Résidents !
(photo : François Bellamy)
L’idée géniale de l’équipe qui programme les concerts (dirigée par Denis Lebas) a consisté à réunir les dix résidents que le festival a accueillis depuis près de 25 ans. Le hasard faisant bien les choses, aucun des dix musiciens ne jouaient du même instrument. Il était donc facile de les réunir sur la même scène afin qu’ils forment un tentette inédit qui constitue un all star époustouflant ! Thomas de Pourquery au saxophone alto et au chant, Andy Sheppard aux saxophones soprano et ténor, Airelle Besson à la trompette, Fidel Fourneyron au trombone, Théo Ceccaldi au violon, Louis Winsberg à la guitare, Bojan Z aux claviers, Franck Tortiller au vibraphone, Yves Rousseau à la contrebasse et Anne Pacéo à la batterie. La deuxième idée géniale fût de demander à chaque membre du tentette de proposer une composition et de l’arranger spécialement pour ce groupe éphémère et singulier. Nous avons apprécié particulièrement ceux qui ont composés un morceau spécialement pour l’évènement comme Bojan Z avec The Might et ses brisures rythmiques insensées, Théo Ceccaldi avec le génial Zeus, God of Dogs ou Andy Sheppard et son délirant My Wife’s Gynaecologist Doesn’t Like Jazz. Mais nous avons également apprécié la version orchestrale du Radio One d’Airelle Besson, la reprise du Kashmir de Led Zeppelin par Franck Tortiller et le final de Thomas de Pourquery avec Love Is Outer Space de Sun Ra. Ce fût un moment inoubliable porté par une émotion réellement palpable ressentie par les dix musiciens. Une émotion qui s’est bien sûr diffusée largement dans le cœur du public, conscient qu’il assistait à un évènement extraordinaire et unique en son genre. Ce fût un feu d’artifice flamboyant, mais fort heureusement il ne constituait pas le bouquet final du festival !
Je précise que France Musique a enregistré ce concert unique et mémorable et qu’il est encore en écoute sur leur site durant tout le mois de septembre : https://www.francemusique.fr/emissions/le-concert-de-20h/direct-jazz-sous-les-pommiers-gauthier-toux-nils-petter-molvaer-concert-des-residents-2-2-el-comite-97653
Le lendemain, le vendredi 27 août à 17 h au Théâtre, nous avons assisté une nouvelle fois à un moment particulièrement magique avec le concert du vibraphoniste David Neerman, accompagné de Lansiné Kouyaté au marimba et au balafon, de la chanteuse Krystle Warren et de l’ensemble vocal Sequenza 9.3 (quatre hommes et quatre femmes) dirigé par Catherine Simonpietri autour du projet : Noir Lac. L’instant du concert, le théâtre de Coutances s’est métamorphosé en abbaye et le public a vécu un grand moment de communion avec les musiciens et d’extase particulièrement planante autour d’une musique inclassable. Cette musique résulte d’un savant mélange entre un vibraphone jazz, un balafon ou un marimba joué à la façon malienne, une chanteuse au style marqué par la soul et un chœur polyphonique issu du classique et du contemporain. De ce mix improbable surgit une musique singulière et fortement originale (il n’y a pas d’équivalent à cette associations de musiciens et de chanteurs). Une musique sublime et très cohérente qui a fortement séduit les spectateurs du théâtre et les a emmené dans un ailleurs très lointain et paradisiaque.
Deux heures plus tard, le trio du pianiste Kenny Barron nous attendait Salle Marcel Helie avec ses complices : Kiyoshi Kitagawa à la contrebasse et le colosse Jonhathan Blake, qui est tellement énorme que sa batterie ressemble à un jouet pour enfant ! Un trio équilibré et soudé qui magnifie les standards par l’émotion dégagée par le toucher de piano de Kenny Barron, l’inventivité mélodique de Kiyoshi Kitagawa et l’intelligence de jeu de Jonhathan Blake qui peut être très léger et élégant sur les ballades et d’une fulgurance volcanique sur des tempos rapides. Ils nous ont joués de très belles versions de Skylark, How Deep Is The Ocean ainsi que le fameux Nightfall de Charlie Haden dans une interprétation particulièrement émouvante. Grand spécialiste du bebop, Kenny Barron nous a livré une superbe version de Bud Like de Bud Powell ainsi qu’un remuant calypso ensoleillé.
La journée du samedi, particulièrement intense, a commencé à 10 h du matin avec Théo Ceccaldi et s’est terminé à 2 h du matin ave le même Théo Ceccaldi !
Le festival a eu l’idée géniale d’organiser un concert surprise sur la plage de Coutainville (une première pour le festival !) avec le soleil qui était au rendez-vous et où les spectateurs étaient allongés sur des chaises longues. Une carte blanche a été donnée au nouveau résident Théo Ceccaldi. Le jeune et talentueux violoniste nous a proposé un concert entièrement improvisé en compagnie du batteur et percussionniste Cyril Atef à l’aide de boucles sonores savantes et de samples judicieux. Les spectateurs allongés ont ainsi pu continuer à rêver en prolongeant leurs courtes nuits autour d’une musique mouvante, inventive et sensorielle, où les différents climats proposés étaient toujours pertinents. La danseuse et chorégraphe Marion Motin a pu exprimer la quintessence de son art sur cette musique improvisée avec une aisance et une facilité tout à fait remarquable.
A 20h15 au théâtre, le claviériste français Gauthier Toux accompagné de la remarquable chanteuse suisse Lea Maria Fries, du bassiste français Julien Herné et du batteur suisse Valentin Liechti, invitait l’inventeur de l’electro-jazz : le trompettiste norvégien Nils Petter Molvaer !
Ce concert proposé par l’Adami dans le cadre des Talents Adami Jazz a tenu toutes ses promesses en proposant au public de Coutances un bel éventail de chansons pop mâtinées d’electro-jazz aux rythmiques particulièrement groovy, où la trompette atmosphérique de Nils Petter Molvaer planait au dessus de l’énergie volcanique du groupe. Le quintette nous a principalement joué leur projet « For a Word » où le chant sensuel de Lea Maria Fries fait mouche sur tous les titres et se combine à merveille avec la trompette envoûtante de Nils Petter Molvaer.
Après cette musique fortement européenne, nous voilà parti à Cuba dans la salle Marcel Helie pour un concert démentiel du groupe El Comité avec le saxophoniste (bien connu en France) Irving Acao, l’impressionnant trompettiste Carlos Sarduy, le fabuleux pianiste Rolando Luna et une section rythmique infernale composée du bassiste Gaston Joya, du phénoménal batteur Rodney Barretto (neveu de Ray Barretto) et du percussionniste Yaroldy Abreu. Six virtuoses incontestables dont le niveau musical est époustouflant, mais qui savent aussi faire le show et procurer du plaisir au public. Ils maitrisent parfaitement l’énergie dansante du latin jazz tout en pratiquant un jazz élégant au swing raffiné avec une douceur sensuelle et une légèreté rayonnante. Ils ont mis le feu à la salle Marcel Helie et ont eu la bonne idée d’inviter l’autre nouveau résident, le tromboniste Fidel Fourneyron sur quelques titres, où notre français n’a pas joué le rôle de figurant et s’est montré à la hauteur de l’enjeu !
Enfin, c’est de nouveau avec Théo Ceccaldi que s’achèvent cette folle journée et ma présence au festival de Coutances autour d’une création musicale inédite intitulée « Kutu ». Auprès du violon de Théo Ceccaldi, on trouve son frère Valentin Ceccaldi à la basse, la japonaise Akemi Fujimori aux claviers, l’ami Cyril Atef à la batterie et deux remarquables chanteuses éthiopiennes : Hewan Gebrewold et Haleluya Tsadik. La salle du Magic Mirror s’est transformée en dance floor autour d’un savant mélange entre jazz, chansons éthiopiennes et groove électro amené par les claviers d’Akemi Fujimori et le jeu de batterie dense et touffu de Cyril Atef. Une musique nouvelle extrêmement singulière et particulièrement excitante que je me suis permis d’intituler : ELEC-THIO-JAZZ !
Lionel Eskenazi.