Anglet Jazz Festival: Shai, appelez le Maestro !
Dans la salle du coquet théâtre angloy porteur d’un patronyme on ne peut plus gascon qui fait référence à une unité de poids utilisée autrefois sur un marché les lumières de la salle viennent à peine de s’éteindre. Les musiciens entrent en scène. Airelle Besson l’air surprise questionne tout haut de sa voix douce « C’est quoi, dites moi, ce drôle de bruit de machine? » Un ronflement singulier, une sorte de fumée ou brumisation trouble l’entame du concert. Benjamin Moussay, facétieux lance sur son synthé une guirlande de sons parasites qui rejoint illico celui, mystérieux, venu en piratage. Machine conte machine. Un cri soudain, violent, déchire ce climat singulier « Arrêtez cette machine, arrêtez cette machine tout de suite ! C’est un scandale » Ce qui se produit d’ailleurs aussitôt. Est-ce l’air du temps ? Cet anti de plus, Anti-bruit anonyme a obtenu raison.
Intermezzo: Sarah Lancman (voc), Giovanni Mirabassi (p), Olivier Bogé (as)
Airelle Besson (tp), Isabelle Sorling (voc, electr), Benjamin Moussay (p, elp), Fabrice Moreau (dm)
Anglet Jazz Festival, Théâtre Quintaou, 17 septembre
De la facilité sur le clavier, une délicatesse certaine dans le toucher, des accords en soutien plaqués des deux mains. Giovanni Mirabassi se place toujours au service de l’expression vocale sans paraître forcer sa nature. Une tonalité de voix médium, une façon de scatter en douceur sur les syllabes détachées à cet effet. Façon personnelle d’illustrer cet Intermezzo Sarah Lancman a choisi de chanter les standards dans la langue transalpine.
Y compris sur une mélodie doucereuse histoire de reprendre « une chanson d’amour que la grand mère de Giovanni lui chantait au retour de l’école » So what ? Et alors ? Est-ce l’impression d’un momentum trop empreint de linéarité ? L’intervention trop tardive et parcimonieuse de l’alto de Bogé? Ou les intermèdes répétés de saynètes d’humour potache partagé avec le pianiste ? Un hommage à Piaf pour conclure, pourquoi pas ? Tout bien fait, oui. Moment divertissant, certes. Pourtant pour une accroche plus intense, il faudrait à ce tour de chant, plus d’intensité. Et quelques ellipses de voix comme de notes pour saisir, surprende. Pour séduire. De quoi prendre l’auditoire au corps sinon au coeur.
Il y a chez elle, Airelle, cette sonorité de trompette caractéristique, légèrement réverbérée. Il y’a ces notes lancées dans l’air pour voyager directement dans un espace ouvert ((The song of your Voice I II II repris de l’album Try ) En complément, prolongement en second plan voire en osmose question effet, le placement du chant d’Isabelle Sorling, précis, inventif, s’insère à sa juste place. Avec le plus d’attaques de voix montées vers le registre aigu, domaine privilégié -et traité par effets électroniques – de l’art de la chanteuse suédoise (Try) Vis à vis de ce subtil duo féminin mis en avant intervient à une exacte parité le travail de background, de poussées, de relances des deux tenants des claviers et percussions.
Boulot de cadrage, de mise en lumières, en reliefs sonores de la part de Benjamin Moussay aussi expressif dans les trames acoustiques ou électriques (Patitoune) Finesse dans les touches rythmiques impulsées, dans le souci de ponctuer la bonne note, le tempo idoine toujours du bout des baguettes: ainsi s’exprime en propre Fabrice Moreau, en bec fin des percussions. Dès lors le quartet se meut-il en déplacement d’accents prégnants au sein d’ une architecture de musiques mouvantes. Partitions écrites et improvisations entremêlées. Pas si aisées à identifier en tant que telles.
Mise à dessein entre des mains diverses les musiques d’Airelle Besson dessinent un univers onirique. Poétique, allez, osons le mot.
Matthieu Chazarenc (dm), Laurent Derache (acc), Sylvain Gontard (bu ), Christophe Wallemme (b),
Shai Marstro (p), Philip Dizack (tp), Jorge Roeder b), Ofri Nehemya
Anglet Jazz Festival, Théâtre Quintaou,
Sur scène le jazz du batteur lot et garonnais se construit par étapes. Une entrée individuelle (au bugle, Sylvain Gontard, souffle soft et sur, par exemple) suivi d’un apport en complément (l’accordéon tombe pile poil pour un tissage harmonique) Et lorsque la rythmique s’en mêle l’édifice tient la route. Chazarenc est un batteur / constructeur. De rythme autant que de mélodie.
L’assise de la basse via Christophe Wallemme lui assure des marges de bonnes marges de manœuvre. Il puise dans son dernier opus baptisé Cantú 2, manière de programme. Enfant du sud ouest Il ne craint pas d’évoquer ses racines occitanes avec un thème intitulé Place Jasmin du nom d’un poète agenais : « Et puis tiens, ici je vous fait un petit cadeau » En l’occurence une courte digression sur l’iconique Montagne Pyrénées, chanson de bergers chère à Marcel Amont, le béarnais voisin. Avant d’annoncer un thème baptisé Garonne, joué tel un hymne en courant long et lent.
Matthieu Chazarenc est un batteur physique. Il utilise ses mains sur les peaux des tambours, son corps aussi comme caisse de résonance naturelle. Au sein du quarter les Instruments des solistes ont un rôle désigné : l’accordéon instille des tâches de couleurs. Le bugle se charge des prises d’air. Dans les développements solos comme les contrechants ils œuvrent chacun pour, aux histoires contées, donner du relief, de la substance musicale
« Nous n’avons pas de « set list » Nous préférons sentir les notes circuler directement dans le sol, sous nos pieds. Aussi allons-nous partir d’une note… » On n’est pas obligé de croire le pianiste israélien sur parole. On peut tout aussi bien souscrire à la vertu du jeu proposé. Se laisser prendre au risque du pari tenté « live » sur les planches. Alors, alors seulement le fil musical se dévide, se dévoile. L’impro comme philosophie dicte son code d’honneur. Un échange piano batterie parti de rien ou presque vient en guise de lancement des dés. Puis comme les deux musiciens se challengent, germe un contenu apte à fournir une substance vivante. Quelque chose comme du jazz sécrété à l’air libre emplit maintenant l’espace. Fait sens au final. Shai Maestro -patronyme qui décidément lui colle à la peau- au piano s’emploie, coordonne. Le quartet tourne à plein à présent. Dans ces phases d’interplay, quand les quatre musiciens se rencontrent sur des pistes déjà un peu tracées, l’intensité de l’échange secrète un parfum particulier. La musique prend corps, se fait chair vive, évolue au travers de pleins et déliés.
Les effluves de trompette peuvent paraitre poussées fort sur le devant de la scène. Le piano reste omniprésent. Pourtant les pièces jouées se retrouvent éclairées dans un élan commun, une inspiration réellement partagée. C’est bien à du bel ouvrage collectif jazz qu’il nous est donné de goûter. Et l’audience, conquise, s’en régale. Frémit de plaisir. En redemande. Toujours souriant Shai Maestro conclut par « un thème écrit en l’honneur de mon grand père berger et joueur de flûte » Un chant plutôt approprié, ici à Anglet, entre océan en à plat et perspectives douces des croupes du piémont pyrénéen basque.
Robert Latxague