Cap au Sud : Le Solar à Saint-Etienne et l’Underground de Lyon avec Vincent Courtois et Jack London
Sur la route de Marseille où je rejoindrai ce soir le festival Les Émouvances, chemins buissonniers et haltes à Saint-Étienne et Lyon.
A Saint-Étienne, j’ai rendez-vous avec Pierrre Fargeton, qui nous a ravi avec son formidable travail sur André Hodeir et qui est maître de conférence en musicologie à l’université Jean Monnet. Il m’attend au Solar au sein du bâtiment récemment rénové de la Comète qui abrite cinq associations : La Fabrique musicale, l’École de l’Oralité, la spécialité théâtre du Conservatoire Massenet, l’Espace Info Jeune de la ville et le restaurant Le Solar ouvert dans l’ancien petit théâtre de La Comédie de Saint-Étienne où désormais le chef Benjamin Gagnaire fait bon accueil aux végétatiens, mais pas que, et bonne place aux producteurs locaux bio ou en agriculture raisonnée. Mais c’est évidemment plutôt le saxophoniste Ludovic Murat qui m’est présenté, coordinateur du département jazz du conservatoire et président de l’association Gaga Jazz qu’il a fondé en 2004. À l’origine du festival Jazzeries d’hiver créé en 2011, Gaga Jazz a préféré annuler provisoirement l’édition 2022 pour se concentrer sur la nouvelle scène ouverte désormais au Solar – espace, visibilité et proximité scène-salle – qui accueillera pas plus tard que samedi prochain 25 septembre, le trio du piasnite Laurent de Wilde (parrain du lieu). Prochains évènements : jam session les lundi 27 septembre et 11 octobre, le quartette de la batteuse Anne Paceo (marraine du lieu) le 1er octobre., le quartette Juwas le 9 octobre, le Big Band l’Œuf le 15 octobre, le trompettiste Theo Croker le 16… à suivre sur le site du Solar.
Le soir même, concert à l’Underground, ce petit amphithéâtre situé sous l’Opéra de Lyon. Ancien journaliste aux Inrockuptiles, ancien directeur artistique des nuits de Fourvière et second successeur à François Postaire qui donna l’impulsion première du lieu, Richard Robert se livre à un malicieux one man show pour présenter une programmation, moins jazz qu’elle ne fut, mais sans œillère, ouverte sur des musiques inclassables et d’une grande perméabilité, notamment de celles dont le jazz a tantôt accouché, qu’il a tantôt plus ou moins ensemensé. Et donc hier, c’est le trio de Vincent Courtois qui m’avait incité à faire étape à Lyon, à l’Underground.
Vincent Courtois (violoncelle), Robin Fincker (clarinette, sax ténor), Daniel Erdmann (sax ténor).
Je n’avais jamais vu ni entendu le trio, des trous de plus ne plus fréquents et nombreux dans mon champ de vision, au fur et à mesure que la scène du jazz et de ses dérivés s’élargit dépassant largement les capacités de mon emploi du temps, et je m’attendais, après un coup d’œil rapide sur internet, à une sorte de musique de chambre. Or de la chambre, il y en a, de par le format orchestral, l’intimité du propos, le son du violoncelle au centre du projet, mais il y a bien autre chose.
De Martin Eden, le roman d’apprentissage plus ou moins autobiographique de Jack London, qui a inspiré ces musiques, on peut, comme moi, n’avoir pas lu une ligne et apprécier tout autant ce que l’on entend. On peut aussi s’étonner de ne pas y entendre l’Amérique de l’auteur américain. Mais, du peu que j’en sais, je me dis que ce héros confronté à une classe sociale qui l’émerveille, l’humilie, le fait se cabrer, est transposable partout où un individu d’une classe défavorisée aspire à s’intégrer une classe dominante. La musique imaginée par Vincent Courtois et ses comparses est de partout et de nulle part. J’y entends le son des élans d’adhésion, des conflits, des rejets et des rebuffades vécus par Martin Eden dans une ouverture m’évoquant je ne sais trop pourquoi Tom Waits, puis dans ce vagabondage de Jimmy Giuffre aux voicings de folk song très british revival, des accents appalachiens aux irlandais (on entendra même une espèce de reel en fin de concert), du blues aux rumeurs campagnardes, du pizz vindicatif du violoncelle à son archet tantôt coloratura, tantôt champêtre (fenaisons de juillet l’Auxerois ou pâture de moutons en Anatolie), des colères rentrées ou des cris d’angoisse qui font passer de l’expression subtone à la raucité free des saxophones. Les faux unissons de ceux-ci et leurs contrechants obstinés néanmoins instables nous déroutent hors des voies de la raison, vers le rêve. Daniel Erdman au son très archiesheppien (dans ce que Heinz Sauer avait retenu d’Archie Shepp) est le plus lyrique des deux, Robin étant plus abstrait jusque dans un formidable grafouillis solo de sa clarinette. Plus quelque chose de Charles Mingus, qui connut les crises identitaires de Martin Eden, balloté entre sa négritude “incertaine” de nègre blanc et son rêve de violoncelle, entre les clameurs de l’église noire et les abstractions de Bartok, une nourriture que le concrétise en quelques citations tellement fugaces que je le ai peut-être rêvées, au moins que l’une d’elles soit à l’origine de cette surexposition surnaturelle qui illumine le trio la photo prise presque contractuellement avec mon portable. Un rappel sera suivi d’un deuxième rappel sur une évocation de Tous les matins du monde et de Marin Marais, tirée d’un programme ancien, mais dans une continuité indiscutable.
Ce soir, aux Émouvantes, à Marseille, il y aura encore du violoncelle avec Vincent Ségal au sein du quartette Majakka de Jean-Marie Machado puis Une Petite Histoire de l’Opéra par les merveilleux agitateurs de la bande à Laurent Dehors… Tous dehors : voici Marseille qui longe mon TGV m’amenant en Gare Saint-Charles. Franck Bergerot
Retrouvez Vincent Courtois avec Robin Fincker et Daniel Erdman dans le programme “Oakland” (du nom de la ville à laquelle est attachée l’enfance de Jack London), plus les voix de John Greaves et Pierre Baux, le 9 novembre au festival Nevers d’jazz et le 10 à Arles à la Chapelle du Méjan ; avec Jacky Molard, Catherine Delaunay et François Corneoup demain 24 septembre à Marseille au festival les Émouvantes au Conservatoire Pierre Barbizet, le 6 novembre à Lyon à l’Underground, le 19 novembre à Paris à l’Atelier du Plateau, le 17 décembre à Nantes au Nouveau Pavillon ; Vincent Courtois avec Christophe Rocher et Edward Perraud sur les photos de Yan Morvan “Champs de bataille” le 10 novembre à Nevers d’jazz et le 14 décembre à Paris au musée des Armées.