Antoine Pierre, Urbex Electric et leur hommage à Miles Davis triomphent au Studio 104
Belle surprise pour le batteur belge et ses compagnons de voir leur hommage à Miles Davis plébiscité par un public nombreux rassemblé hier au Studio 104 de Radio France. Quasiment aucune reprise, mais un répertoire original qui se souvient avec beaucoup d’intelligence de la première période électrique de Miles Davis.
Antoine Pierre (batterie, composition) & Urbex Electric : Jean-Paul Estiévenart (trompette), Reinier Baas (guitare électrique), Bram De Looze (piano), Félix Zurstrassen (basse électrique), Frédéric Malempré (percussions).
« Une reprise de “Bitches Brew” ? Mieux. Ce qu’il en reste lorsque l’on a tout oublié ? Mieux encore. Car le batteur Antoine Pierre a de la mémoire, tout en étant lui-même, au-delà de “Bitches Brew”, au-delà de Miles. » C’est ainsi que débutait la chronique du disque “Suspended” assortie d’un “Choc” dans notre numéro de novembre 2020. J’élargissais même le périmètre de l’hommage jusqu’aux faces du Cellar Door, en passant par les séances de l’automne-hiver 1969-1970, les Fillmore et l’Ile de Wight. Le dispositif orchestral d’Urbex s’y prête à ceci près qu’il y manque un saxophone (mais on y gagne une relative concision) et que le clavier électrique est remplacé par un vrai piano, acoustique, assez difficile à sonoriser dans ce contexte. Dommage. Bram de Looze, dont nous avions fait le vainqueur du Tremplin jazz d’Avignon en 2011 avec la contrebasse Anneleen Boehme et le batteur Lander Gyselinck en 2011, est un pianiste qui mérite d’être entendu. Par bonheur, il y eut des moments plus favorables à son intégration au son de l’orchestre. Car c’est d’abord de cela qu’il s’agit, d’une merveilleuse combinaison de personnalités et de timbres, et plus encore d’une permanente redistribution des rôles et des initiatives autour des grooves d’un batteur-compositeur astucieux (jusque dans l’humour de ses présentations), inventif, musical. “Devant” : Jean-Paul Estiévenard, désormais figure de pointe de la trompette belge, milesdavisien sans inutile dévotion. Sur le côté (cour, le piano côté jardin), le guitariste Reinier Bass, évoquant tantôt le John McLaughlin des séances davisiennes de 1969-1970, tantôt le Pete Cosey des années 1973-1974, le tout revu à travers le prisme de la modernité 2.0. À son côté, à la gauche du batteur qui trône au centre, Frédéric Malempré aux percussions, transpose également le rôle autrefois joué par Airto Moreira, selon un vaste vocabulaire “afro”. À la droite d’Antoine Pierre, Félix Zurstrassen tient l’ensemble d’une basse électrique évoquant tantôt le Harvey Brooks de Spanish Key ou le Dave Holland de Directions (seule reprise lors de concert, mais absente du disque), tantôt le Michael Henderson de Turnaroundphrase. On reconnaîtra ici et là patte “atmosphérique” qu’apporta Joe Zawinul tout au long de l’année 1969, un clin d’œil à Little Church qu’arrangea Hermeto Pascoal pour Miles au printemps 1970, quelque chose du drumming de Billy Cobham sur Duran au début du solo de batterie d’Antoine Pierre intitulé Drums Take Over, quoi le personnage de référence soit ici pour le leader Jack DeJohnette. Version assagie cependant par rapport à ce qu’était le jouage de l’époque avec Holland et Chick Corea. Le contrôle exercé ici par la batteur-compositeur à travers ses options formelles et le cadrage de l’improvisation à dominante collective renvoyant à celui que tentait de garder Teo Macero sur l’issue incertaine des consignes brouillonnes de Miles par le biais de son travail d’editing. Énorme ovation du public de ces concert Jazz sur le vif. Retransmisssion enfin dans la foulée – et non pas repoussée à l’été – en deux parties, dans le cadre du Jazz Club d’Ivan Amar, les 2 octobre et 6 novembre. Franck Bergerot (photo © Xavier Prévost)