Arches en Jazz (Suite et fin)
Le premier Festival Arches en Jazz (à Port-bail sur Mer et ses environs) a présenté pendant deux jours des musiques variées, mais qui avaient en commun d’être à la fois exigeantes et accessibles.
Le samedi soir (25 septembre) un nouveau et formidable quartet, Entre les terres permettait de découvrir encore un autre univers musical, avec les épatants Jacky Molard (violon), François Corneloup (sax baryton), Vincent Courtois (violoncelle), Catherine Delaunay (clarinette).
Que des grands musiciens dans ce quartet aux équilibres subtils (alliances de timbres, François Corneloup et Vincent Courtois d’un côté, Jacky Molard et Catherine Delaunay de l’autre ; alliances d’univers, les chambristes d’un côté, Catherine Delaunay, et Vincent Courtois, et de l’autre les électrons libres, François Corneloup et Jacky Molard).
Les compositions sont de la plume de Jacky Molard ou de François Corneloup. On reconnaît bien leur patte à tous les deux : celles de Corneloup sont remarquables par leur élan, leur puissance d’envol, presque comme des hymnes (à certains moments on pense beaucoup à Henri Texier, ancien partenaire de Corneloup).
Sur les compositions de Jacky Molard flotte un parfum de fest-noz et de danses traditionnelles (je renvoie sur ce point à l’article de Franck Bergerot, beaucoup plus précis que moi sur ces questions (Les Emouvantes, troisième soir).
Qu’il s’agisse des compositions de Corneloup ou de Jacky Molard, il y a un son d’ensemble dans cette musique, un son riche comme une étoffe de brocart, souvent très chambriste, avec les magnifiques basses de bronze-élastique de François Corneloup comme assise.
Mais ce qui frappe surtout, c’est la capacité de cette musique à vriller. Parfois c’est Jacky Molard, qui vient rompre cette atmosphère soyeuse par des improvisations ancrées fermement dans le sol que l’on foule en dansant. Mais ce musicien extraordinaire déborde de ce cadre-là. Sur le quatrième morceau (une composition de François Corneloup, je crois) il a pris un solo mémorable. Au début, il semblait entouré de danseurs invisibles. Au bout de quelques minutes, ils se sont éclipsés sur la pointe des pieds, et son solo s’est lesté d’une charge poignante. Jacky Molard ne faisait plus danser, il racontait une histoire personnelle, peut-être la sienne, on ne saura jamais. C’était bouleversant.
J’ai mentionné les sorties de route qui caractérisent cette musique et la rendent passionnante. il me faut ici parler de l’extraordinaire Catherine Delaunay, qui à plusieurs moments dans la soirée a fait sortir de sa clarinette une musique jaillissante, fraîche, allègre sans pour autant adopter une sonorité et un phrasé jazz. En cet instant, Catherine Delaunay me fait penser à Yehudi Menuhin confronté à Stéphane Grappelli (par exemple dans Pick yourself up, trouvable sur Internet) qui puisait dans la tradition classique assez de danse, de chaleur, et de joie pour rivaliser avec son ami jazzman. Admirable concert.
Le dernier concert, dans la salle des fêtes de St Lô d’Ourville (dimanche 26 septembre) confronte deux grands improvisateurs, François Corneloup (sax baryton) et Oua-Anou Diarra.
Les deux hommes ne se connaissaient pas, ne s’étaient jamais vus avant le concert. C’est donc de la haute voltige. On a d’abord la sensation que François Corneloup prend les choses en main, avec ses basses de bronze caoutchoutées qui le transforment en groove-man irrésistible. Oua-Anou Diarra se cale là-dedans comme dans un hamac avec ses flûtes bavardantes.
Quand c’est Oua-Anou Diarra qui prend l’initiative, en particulier lorsqu’il se saisit de son tamani, le tambour d’aisselle, il arrive à un ou deux moments que la connection ne se fasse pas immédiatement (la haute voltige suppose quelques bleus). Les regards se cherchent, François Corneloup se met face à Oua-Anou Diarra, il esquisse de gracieux pas de danse, ça y est, il a trouvé la formule rythmique adéquate pour s’insérer dans le discours du tamani.
Le dernier morceau est magnifique : une berceuse pour la petite fille du musicien africain (activement présente dans la salle….). François Corneloup crée un bourdon énorme, comme un vent ascendant, où Oua-Anou Diarra n’a plus qu’à se laisser porter, et laisser s’envoler ses gracieuses flûtes bavardantes. On souhaite longue vie à ce festival épatant.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (on peut acquérir un de ces dessins en s’adressant à la dessinatrice, annie_claire@hotmail.com, réductions pour les musiciens, majorations pour les promoteurs immobiliers et les principaux de collège)