Hermon Mehari et Alessandro Lanzoni, télépathique duo
Photo James O’Mara
Hermon Mehari-Alessandro Lanzoni : ce magnifique duo ouvrait la deuxième soirée du festival MIRR.
Alessandro Lanzoni (piano), Hermon Mehari (trompette), vendredi 15 octobre 2021, au 360 Music factory, 32 rue Myrha, 75018 PARIS
Dans le cadre du festival Mirr (collectif d’artistes qui existe depuis sept ans avec notamment Benjamin Sanz, Ricardo Izquierdo, Hermon Mehari comme directeurs artistiques), le duo Alessandro Lanzoni-Hermon Mehari célébrait la sortie du disque Arc Fiction. Au début du concert, Hermon Mehari, trompettiste américain originaire de Kansas City, installé en France depuis quelques années explique en quelques phrases les origines du duo: la rencontre dans une jam session à Florence, une connection immédiate, des improvisations à deux qui ont « un début, un milieu et une fin » et l’enregistrement d’un disque, très vite, dans la foulée pour ne pas laisser refroidir les miracles.
Cette sensation d’alchimie, de télépathie, on la ressent très vite dans le concert (mélange de compositions des deux musiciens et de pures improvisations). Lanzoni reprend au vol certaines phrases d’Hermon Mehari, mais surtout les complète, les infléchit, en donne sa version personnelle. Entre les deux, ça réfléchit à mille à l’heure. Quelles notes jouer, quelles notes ne pas jouer. Ils ont une même approche du temps, non seulement le time, le temps métronomique, mais surtout le temps intérieur de la respiration, celui qu’on laisse à une mélodie ou à un groove pour éclore avant d’inventer autre chose. Cela leur permet de prendre ensemble des virages dignes de la patrouille de France.
Il faut dire quelques mots des deux musiciens. Hermon Mehari, surdoué de la trompette, récompensé par de multiples concours internationaux (Le concours Caruso en 2015 par exemple). Ce musicien, c’est la trompette en majesté. Le son, l’attitude. Une expressivité magnifique, avec des notes qui gueulent comme Bessie Smith, et d’autres, qui murmurent comme Shirley Horn. Une remarquable maîtrise des dynamiques, ce qui passe par le volume, l’intensité, mais aussi le modelage des notes : certaines tranchantes comme un rasoir, d’autres subtilement rognées, émoussées, un peu comme un écrasé de pommes de terre. Dans le sillage d’un Ambrose Akinmusire, il utilise merveilleusement les effets de demi-piston, qui permettent à la trompette de s’approcher au plus près du chant pur.
Quant à son camarade pianiste, Alessandro Lanzoni, on pourrait dire à peu près la même chose, en adaptant mes mots à son instrument, et l’on comprend la parfaite osmose entre les deux. Lui aussi est un surdoué, chez lui aussi on remarque ce travail impressionnant sur les dynamiques, avec des accords plaqués, répétés avec une obstination monkienne, et tout à coup une envolée, des traits perlés, des mains qui virevoltent sur le clavier. Une oreille supersonique, une virtuosité tenue en laisse.
Les deux musiciens se font la courte-échelle pour aller loin des routes balisées. Ils laissent des pépites sur leur chemin sans se retourner. Parfois (car ils sont tous les deux pétris de la grande tradition des standards) ils retombent en terrain connu. Vers la fin du concert, I got it bad and that aint good, le standard de Duke Ellington s’invite dans leur improvisation. Moment magnifique, ils l’accueillent, lui font une place, le célèbrent. Ils sont très à l’aise sur le blues, avec Hermon Mehari en plein dans la grande tradition de cette musique, et Alessandro Lanzoni l’approchant par des voies plus détournées. A d’autres moments, ils empruntent des chemins plus abstraits, et l’on est dans des ambiances qui rappellent la musique contemporaine. Chacun accueille dans sa musique l’univers de l’autre. Merveilleux et éclectique duo.
JF Mondot