D’jazz Nevers : amplitude, galvache et miraculeux points d’orgue
Avant dernière journée avec le trio Robert-Chevillon-Atef, les Space Galvachers et le duo Léandre-Contet, Xavier Prévost prenant soin de rendre compte du concert de Michel Portal par ailleurs.
Les photos «téléphone portable jetable » sont de X. Deher, sauf celle des Space Galvachers du «vrai » photographe Maxime François.
Éloge de l’amplitude
Ayant tout juste bouclé mon compte rendu de la veille, j’arrive au Théâtre municipal de Nevers alors que le concert d’Yves Robert (trombone, effets), Bruno Chevillon (contrebasse, effets) et Cyril Atef (batterie, percussions, effets) est déjà bien entamé. Vingt ans de complicité collective, quarante ans de compagnonnage avec Bruno Chevillon, mais un orchestre au chômage chronique frappé en outre par les mesures sanitaires. Vingt ans tout de même, ça compte et ça s’entend. Une musique tout à la fois bien réglée et totalement ouverte. « On a des morceaux, dira en substance, le tromboniste lors de la rencontre animée par Xavier Prévost à l’issue du concert, mais on ne sait jamais ce que l’on va en faire. Le développement peut connaître toute sorte de bifurcations. Mon principal souci, c’est l’ampleur, en terme de dynamique des nuances, et de densité de l’information »
Et en effet, l’information arrive de partout, les instruments étant multipliés par des effets de traitement électronique, de déformation spectrale, d’écho, de boucle, d’ombres et de fantômes. Une densité spectacle lorsque l’on voit Cyril Atef, encyclopédiste des claves et codes polyrythmique du monde entier, superposer l’une après l’autre les cellules rythmiques chacune jouée sur une percussion différente, rythmes et idiophones qu’il additionne après les avoir tiré de son attirail un peu comme, dans le film Chang de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, le petit garçon Nah, de retour d’une battue, sort d’un grand coffre différents animaux récupérés dans des pièges à panthère comme autant de nouveaux compagnons ou de jouets vivants. Une densité où les rythmes chantent et où les mélodies groovent, c’est ainsi que le public l’aura compris où, vu du premier balcon l’on s’amuse de voir les premiers rangs de spectateurs assis onduler dans la lumière des projecteurs débordant du plateau.
Space Galvachers
C’est le nom du groupe. Mais encore ? Galvacher était le nom donné dans le Morvan par des bouviers louant au loin, du Nord de la France au sud de la Bourgogne, leur service et leurs bœufs après avoir planté les pommes de terre. Ils revenaient à l’automne, pour la Saint-Martin, ramenant avec eux éléments de cultures étrangères. C’est ce qu’expliquera, au cours d’un one man show désopilant, le violoncelliste Clément Petit, sous les fous-rires du violoniste Clément Janinet, tandis qu’à l’autre bout de la scène, au milieu d’un tourbillon de techniciens, Benjamin Flament, l’enfant du pays, se désespère devant une panne de sonorisation de son kit de percussions aux allures d’étal de brocanteur. Lorsque la panne sera soudain résolue comme par miracle, Clément Petit n’aura pas encore réussi à nous expliquer pourquoi « Space ». Mais on voit vaguement l’idée.
Cinq violoncellistes programmés cette année à D’Jazz Nevers, Vincent Courtois en début de programme, Bruno Ducret avec La Litanie des cimes et Vincent Ségal demain avec Jean-Marie Machado, Tove Törngren avec Christian Wallumrød avant-hier et ce soir Clément Petit qui n’est pas des moindres, usant le plus souvent de son instrument en pizz avec des grâces de joueur de luth, la transe d’un joueur de gumbri, la fièvre d’un guitariste de flamenco, le drive d’un contrebassiste de jazz ou la hargne d’un bassiste de hard rock. Tous trois, violoncelliste, percussionniste-brocanteur du futur et violoniste (lui aussi usant du pizz sur son violon ou sur une mandoline électrique) tissent une trame timbrale et polyrythmique d’effilochures mélodiques où l’on croit reconnaître ici et là évocations et citations dont l’identité se fond dans la diversité des couleurs orchestrales, collectés – citations et couleurs – comme à la galvache.
Des formes et même des fins…
Les croisant au réfectoire – que je me refuse à appeler catering quoique le mot, selon wikipedia, dérive du vieux français achetour passé en anglais par acetour, mais dont la sonorité m’évoque une nourriture pour volaille, jetée à la volée –, au réfectoire donc, Joëlle Léandre (contrebasse, voix) et Pascal Contet (accordéon) avouent, ravis comme des garnements confessant leurs forfaits : « On n’a rien préparé, on ne sait pas ce que l’on va jouer. » Le temps presse, le concert commence dans un quart d’heure. Le temps de dévaler le coteau qui sépare le réfectoire dressé sous tente devant le théâtre et le Palais Ducal, et La Maison en bordure de Loire, et nous voici à nos sièges et eux déjà sur scène. Pascal Contet tire son soufflet et nous fait entendre la mer et le vent puis, tapotant sur le même soufflet, les volets qui battent dans la nuit sur leurs attaches. Ne faut-il pas entendre tout autre chose ? Ne serait-ce qu’un accordéoniste tirant sur son soufflet d’une main et, de l’autre, tapotant dessus. Et Joëlle Léandre, qu’est-ce qu’elle entend dans ces soupirs de l’accordéon et ces tapotements ? Qu’est-ce qui lui fait venir à l’esprit, ou directement sous ses doigts, ces quelques notes de pizz.
Ah, ce n’est pas le « free » que l’on pourrait espérer ou craindre. Ni la mélodie, ni la consonance, ni l’accord parfait, ni le grand beau coup d’archet, ni même la citation de valse musette tombant des doigts sur le clavier de l’accordéon ne sont interdits, ni plus ni moins que la corde qui claque sur la touche ou grince au-delà du chevalet. C’est la vie qui va, une note, un son, l’un après l’autre, l’oreille aux aguets. Et des formes viennent, et même des points d’orgue conclusifs ou des codas, comme des évidences, comme si ç’avait été écrit. Avec de la passion, de l’énervement, du désarroi lorsque l’idée fait défaut. Il leur arrive alors de faire la grimace comme l’on en fait devant son miroir pour voir ce que ça donne et, comme craignant la redite ou le cliché qui les guette parfois eux aussi, voilà Joëlle Léandre qui mime l’exaspération et l’absence d’inspiration. Elle geint, gesticule, ironise, se lamente en des mots inarticulés, coince son nez entre le bois de l’archet et sa mèche, on rit et déjà ils saluent et s’en vont. Demain sera un autre jour. L’esprit ailleurs après avoir appris, par un long message de son épouse, la mort de Jef Sicard à laquelle j’ai prévu de consacrer quelques mots sur jazzmagazine.com avant de me coucher, je laisse le soin à Xavier Prévost de rendre compte du concert donné par Michel Portal de fin de soirée. Franck Bergerot