Les confidences de Marc Benham
Marc Benham, une des voix les plus originales de notre paysage pianistique, se produisait en solo au Studio de l’Ermitage.
Marc Benham (piano), Studio de l’Ermitage, 11 novembre 202
On a beaucoup entendu Marc Benham en duo ces dernières années, en particulier avec son complice le trompettiste Quentin Ghomari au sein de Gonam City. Pour autant l’exercice du solo lui est un exercice familier. Ses deux premiers disques, Herbst, et Fats Food adoptaient cette formule.
Le concert commence par un standard immortel, le Django de John Lewis. Introduction merveilleuse et délicate. Marc Benham pose des accords, avec des pianissimo d’une douceur vertigineuse. Il réinvente le thème de l’intérieur avec des accords réharmonisés, le thème semble vu à travers des filtres de différentes couleurs.
Ensuite Marc Benham joue Beau Blaise, une de ses compositions, irrésistiblement vive, pimpante, enlevée. Il empoigne résolument clavier, ses accords plaqués ont une force monkienne. Dès les deux premiers morceaux, on entend donc l’art des contrastes et des voltes-faces qui font de son jeu une route semée de surprises.
A présent il est dans le troisième ou le quatrième morceau. C’est une autre de ses compositions, les punaises de lit. Même fraîcheur et même énergie que Beau Blaise. On note l’apparition de passages en stride (technique pianistique qui réclame plus qu’un apprentissage, une initiation, et que peu de pianistes de jazz maîtrisent). Marc Benham en a fait une couleur récurrente de ses improvisations. Ce langage lui est familier puisqu’il a biberonné Fats Waller (sujet de son deuxième disque Fats Food) et Art Tatum très tôt dans son apprentissage de pianiste, avant d’enrichir sa palette de bien d’autres influences.
Dans certains morceaux Marc Benham enchaîne envolées de stride, comme un orage sur le clavier, et des moments plus abstraits, plus intimes, comme dans ce morceau (je ne retrouve plus le nom) où il se livre à des recherches harmoniques dans le grave de l’instrument, comme un alpiniste examinant les fissures et les anfractuosités d’une paroi qu’il va escalader. Il y a aussi des éclairs de blues, des échappées de swing (très belle réharmonisation de They can’t take that away from me).
Ce style composite, bigarré, ne fait pourtant jamais patchwork. Car il y a une logique dans tout cela, qui est musicale, mais aussi émotionnelle. Marc Benham se laisse guider par une versatilité assumée, nourrissant son jeu d’aspirations multiples, mais aussi par sa pudeur (il rappelle de ce point de vue Martial Solal). Les grands orages de stride interviennent souvent après certains passages tendres et perlés, où le pianiste a entr’ouvert l’armure. Nous avons tous des amis qui camouflent leur sensibilité derrière des blagues de potache. Ce sont souvent les plus délicieux. Je retrouve un peu cela en écoutant Marc Benham. Par exemple, vers la fin du concert, dans cette exquise composition qui dit la fugacité des choses, et qu’il appelée Fougasse. Après quoi, Marc Benham a mis son cœur dans son étui, et a annoncé Bistrology, pétillante et irrésistible valse. Une pluie de confettis a recouvert les confidences de Fougasse. Le concert était terminé.
texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, gravures, peintures sur son site www.annie-claire.com)