Cenon:Jacques Schwarz-Bart invite le ka au Rocher
Ils ou elles surgissent sur le plateau dans une trouée de lumière. Ils ou elles entrent dans la danse. En mouvement provoqué par les tambours.Toutes les facettes de ce voyage au travers des musiques qui ont pris racine dans l’arc caraibe, sous focus de Karukera, l’île Guadeloupe en particulier se trouvent illustrées en images mouvantes par autant de danseurs et danseuses en action improvisée sur une musique qui ne l’est pas moins. Revisiter un pan fondateur de l’histoire musicale de son île natale. Telle fut l’idée de départ de Jacques Schwartz-Bart pour son album Soné Ka-La. Telle se retrouve son application « live » sur la scène du Rocher.
Edmony Krater (voc, tp, ka), Roger Raspail (ka), Andy Béral (dm), Jonathan Jurion (clav), Julien Babou (elb)
Ces histoires là aussi sont contées autour du tambour. Trois gwo kas combinés font jaillir des rythmes spécifiques pour, en musique, re-tisser le fil rouge des hommes/femmes (noir(e)s) importés, mis en esclavage sur l’île papillon. Avec retraduits, ré-exposés ses (accidents de) reliefs, ses harmonies de couleurs, ses drames et ses tourments d’amour de haine ou de ressentiment. Edmony Krater l’a affirmé d’entrée de jeu :« Roger Raspail est un des « maitres » du tambour ka » A Bordeaux (un des ports français du triangle d’ébène) ou ailleurs qu’on se le dise ! Les tambours roulent leurs rythmes, modèlent des décalages savants que seuls des initiés de l’art du gwo ka parviendraient à déceler. En attendant le piano électrique donne les tons, les couleurs par mélodies et suite d’accords répétitifs. Et derrière on devine, à peine cachées dans les fauteuils, la danse. La tradition s’en trouve respectée. Pas seulement mémorielle stricto sensu, non. Plutôt mise en marche avant, en perspective vitale.
Jacques Schwartz-Bart (ts), Grégory Privat (p), Reggie Washington (b, elb), Arnaud Dolmen (dm), Andy Béral (ka). Malika Tirolien (voc)
Festival Le Mois Kreyol #5, Le Rocher de Palmer, Cenon (33152), 13 novembre
Installé désormais à Boston où il enseigne notamment à la Berkeley School il n’a pas oublié pour autant les résonances de son île natale. Jacques Schwartz-Bart à cette façon particulière de lancer les rythmes avec des effets de bec, des attaques d’anche. Alors les tambours participent, évidemment. Le ka répond à l’injonction à trois peaux de tambours tendues, parmi eux un nouveau venu (Andy Beral, à peine remis du groupe précédent sur la même scène remplaçant à main levée Sony Troupé parti en voyage auprès d’un rappeur) Les caisses de la batterie joignent le mouvement (Pas Gadé) savamment autant que naturellement mises en musique part Arnaud Dolmen décidément « maître » (au sens de la référence précédente) de son art lui aussi.
Viennent alors sur les planches les premiers danseurs, couple de virevolte lancé sous les micro-séries façon « clusters » du piano de Greg Privat. Et parce qu’il faut, ligne là aussi imprimée dans la tradition jusques et y compris dans l’avatar zouk, que la mélodie gagne sa place sur l’avant scène un Love will win composé « en emblème dans ces temps de déchirement » offre justement une portée sur laquelle les notes volent dans le souffle du ténor comme dans la voix de Malika Tirolien. La Marie Galantaise révèle une manière de scat très personnelle, un traitement de sons de la voix en résonances douces métissées, créolisée au sens d’ Edouard Glissant. Et puis au détour d’une éniième partie de tambours rois surgit une cavalcade « un mix d’afro beat et de toum black de nos rues » explique le saxophoniste guadeloupéen (Ami Bongo) De l’Afrique à son île, aller-retour en mode « joint venture » musical assumé, intensité et précision au bout d’une découpe rythmico-mélodique au coutelas de la part du pianiste, la boucle est bouclée.
Ou presque. Car Swcharz-Bart insiste, enfonce le clou jusqu’au bout vis à vis de l’audience « New Padjambel veut revisiter une figure de rythmes emblématiques du gwo ka » S’en suit une série de décalages en matière de marqueurs de temps sensés renvoyer encore directement le propos à l ‘Afrique « Vous voyez, j’avoue mon obsession d’atteindre à la polyrythmie » Reste également tout de même chez lui la marque d’un son rond, plein, puissant qui, sans doute prend racine chez une autre figure caribéenne, Rollins. Àl l’image de fulgurances de sons compressés au bout de la colonne d’air, du pavillon du sax ténor. La marque de fabrique indélébile de l’art de Jacques Schwartz-Bart sur son instrument fétiche. De quoi attendre impatiemment le prochain album annoncé cette fois sous une marque « jazz jazz »….
Robert Latxague