Monte Carlo: Jaimie Cullum, le Kid du Rocher
À JR…
Il prend le public de sa voix timbrée d’émotion directe, l’emporte dans la danse sous les plans de piano, le capte, le bouge, l’enveloppe d’intonations toutes en contrastes. Lui donne rendez vous in fine au pied de la scène, à ses pas déchaînés. Au point que la salle en dépit de son armature de fauteuils sécurisée se retrouve sans résistance possible transmutée en « dance floor » improvisé! Du jamais vu à l’Opéra Garnier. À deux pas, normalement à l’abri derrière un mur contigu à la scène le parquet ciré du célèbre Ballet de Monte Carlo en ressent encore les mille vibrations provoquées. Sous des airs de jazz ou de pop ou de matière propres à son art de scène Jaimie Cullum, « so british » iconoclaste, cultive sciemment le mode live tout agit prop…
Jaimie Cullum (voc, p, perc), Giacommo Smith (cla, ts, bs), Miguel Gorod (tp), Tom Varrel g), Loz Garret (b), Graham Gidfrey (dm), Aishia Stweart, Mark Henderson (voc, danse)
Monte Carlo Jazz Festival, Palais Opéra Garnier, Monaco, 24 novembre
Une voix, une présence prégnante, un show hyper physique: sur scène une prestation de Jaimie Cullum reste difficile à cataloguer, à définir. Impossible à cloisonner, inutile d’essayer de l’étiqueter. Rapport au(x) mouvement(s) produits live la vieille formule du « tour de chant » peut s’avérer la plus adéquate. Rien de nouveau certes lorsque l’on connaît le personnage d’histrion chantant depuis son apparition il y a une vingtaine d’années dans les festivals de jazz « Ne vous y trompez pas j’ai 42 ans maintenant » prend-il soin de préciser, rieur, une minute avant d’escalader le piano, de sauter pour retomber sur ses deux pieds micro en main. Dans ce dit « tour de chant » désormais on note cependant plus de percussion dans la musique offerte, plus d’effet coup de poing dans les mots, les attitudes avec un relai « pushy » du duo chœur/danseur. Musique d’entrée de jeu plus funky, davantage « black mode » (Mankind) sous le gros soutien d’une basse portée à saturation – durant la répèt, la mise en place d’avant c’est lui le bassiste, Loz Garret qui dirige le groupe, règle la mécanique, donne à retravailler les séquences jusque dans le détail. Certains vocaux donnés en chœurs sonnent carrément façon gospel ou Memphis Sound (The age of anxiety, Work of art)
Et puis vient le moment du tour du chant livré en solo « Un standard que j’ai joué dans un piano bar j’avais 16 ans, je n’avais pas le droit alors de commander un whisky …» Séquence « pur jazz » occasion de soli carrés plutôt révérencieux de trompette et ténor (relecture blues soûl façon Coleman Hawkins) sur I get à kick puis la mélodie insistante de What a difference a day made avec au bout une petite échappée belle et bien sentie, concentré ferme du pianiste sur son clavier. Séquence où l’on peut voir un Jaimie Cullum sous ses faux airs de « Kid » extraverti, insaisissable -comme échappé d’un film de Chaplin– plongé dans des moments, des espaces où on ne l’attend pas. Le voilà qui enchaîne sur un épisode de percussion sur bois et cordes du piano, produisant en parallèle onomatopées et bruits de bouche avant de glisser sur un chant aux accents de feeling bien senti, seul sous les spots, avec juste le soutien de quelques accords simples, main gauche calé sur des rythmes fort carrés. À peine le temps d’une respiration et.. Parodie ? Mimétisme ? On dirait bien un hommage aux voix de tête de Michael Jackson ou Prince basé sur un riff de basse rutilante (Usher). Il trouve même le temps de glisser une chanson ((Hang your lights on me) pour fêter Noël, écrite en …mars 2020 à l’occasion d’un album spécial « consacré à mes enfants que je ne vois que par épisodes au milieu des tournées »
Bien sûr, comme d’hab, le « petit » chanteur qui bouge sa carcasse mille fois plus qu’un « grand » finira par descendre dans la salle, histoire de haranguer son public en se baladant au beau milieu des travées, voix chaude, accrocheuse apte à chauffer la salle à blanc sous les lustres gigantesques du magnifique dôme mordoré de Garnier.
Jaimie Cullum, showman accompli sait se montrer également fidèle aux rendez vous sur lesquels son public l’attend. Armé comme de bien entendu dans cette salle d’Opéra de sa voix unique, griffée feeling profond.
Robert Latxague