Souvenirs de Slide Hampton
Slide Hampton nous a quitté le 18 novembre dernier à l’âge de 89 ans. Il fut l’un des très grands trombonistes de l’Histoire du jazz, mais aussi un formidable arrangeur.
De ma retraite en rase campagne, l’information m’avait échappé. Qui se soucie aujourd’hui de la disparition d’un tromboniste de jazz. Je me souviens d’avoir un jour recommandé à l’équipe de Jazzman, pour renouveler ses « Unes » qui menaçaient d’épuiser les ventes du journal, de consacrer un numéro au trombone. Quel bide !
Les trombonistes font figure tout à la fois de soutiers et d’aristocrates de l’Histoire du jazz. Soutier, parce dans le big band, ils ont un peu en soute, enterrés entre la section de trompette qui brille tout en haut des praticables, et celle des saxophones constamment « devant ». Mais cette position « en soute » en fait une aristocratie parce qu’ils vivent l’orchestre de l’intérieur, au-delà des seules parties mémorisables en surface, ce qui en fait souvent de grands arrangeurs. Et puis, passé l’âge du « tailgate trombone » néo-orléanais, hérité des jeux de coulisse qui amusaient la foule au passage des orchestres sur chariot où l’on plaçait le tromboniste à l’arrière, du côté du hayon arrière (tailgate), passé cette pratique spectaculaire, le trombone est resté un instrument très secret, toujours en retard d’une brillance sur les trompettes et de vélocité sur les saxophones. La virtuosité qui n’y est accessible qu’aux plus techniciens n’y a rien d’apparent, tout se passant dans un savant calcul de mesure de la longueur de coulisses et d’économie du geste, et une habile négociation entre la pression des lèvres et l’articulation de la langue.
Locksley Wellington « Slide » Hampton, l’un des rares gauchers de l’instrument, maîtrisait tout ça avec une aisance folle et une belle musicalité, et arrangeait avec un art inégalé du voicing et de la conduite de voix, ce dont témoigne notamment son octette créé en 1962.
À plus d’une semaine de sa mort, ceux qui porte son deuil – et il avait de nombreux amis en France, notamment les musiciens du Swing Limited Corporation avec lesquels il joue son arrangement de Milestones dans une émission télévisée visible sur le site de L’Ina – auront déjà lu de nombreux hommages, biographies et sélections discographiques sur le net.
Loin de ma discothèque personnelle, je me remémore quant à moi les deux disques par lesquels j’avais découvert Slide Hampton : « The Fabulous Slide Hampton » de janvier 1969 où, il fait flamber la coulisse sur un insolite In Case of Emergency tandis que le jeune et turbulent Joachim Kühn mène une guerre du tempo contre NHOP et Philly Joe Jones ; « A Day in Copenhagen » cosigné par Dexter Gordon avec Dizzy Reece, NHOP et Art Taylor, où les voix de trois soufflants témoignent de la quintessence de cet art de l’arrangement qui était celui de Slide Hampton. Franck Bergerot