Dmitry Baevsky comme au cinéma
À l’étage du cinéma Ariel de Rueil-Mamaison, se trouve une salle qui avait pris l’habitude de se transformer une fois par mois en cabaret jazz, mais qui restait désespérément fermée depuis des mois pour cause de pandémie. Réouverture ce 3 décembre avec le quartette de Dmitry Baevsky.
Alors que je me préparais à me rendre au cinéma pour aller voir Tre Piani de Nanni Morretti, messages simultanées de Philippe Pilon, saxophoniste et programmateur du Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison et Marina Chaussé de l’agence Like a Sound. « Venez écouter Dmitry Baevsky ce soir au Cabaret Jazz de Rueil. Vous êtes invités. » Quelqu’un a dû leur dire que je pouvais m’y rendre pratiquement en pantoufles. Pas question cependant de m’interdire mon Nanni Morretti. Justesse des personnages, tendresse du regard de leur réalisateur sur trois destins entremêlés, admirablement filmés, pudeur, ellipses, non dits, frontière invisible entre rêve et réalité, sens de l’épiphanie, recours admirable à une musique qui ne l’est pas moins. Je sors un peu aveugle, un peu ailleurs, je monte deux volées d’escalier, pousse une porte et, l’entrée se faisant sur le côté de la scène, je me trouve quasiment face à une mer de visages masqués. Brrrrrr ! Je n’avais jamais envisagé ça, faute d’en avoir fait l’expérience de ce côté de la salle.
Faufilé derrière les derniers rangs, je retrouve ce Cabaret Jazz rueillois. Comme souvent plein comme un œuf, proportions humaines, visibilité, bonne acoustique, un poil de sono, surtout pour la contrebasse, juste ce qu’il faut, le reste au naturel comme j’aime entendre cette musique… le batteur Malte Arndal surpris dans un élégant solo que Dmitry conclue par quelques fusées conduisant au réexposé de Marmaduke. On est en territoire parkérien : l’agilité, la vitesse, les idées qui fusent, l’humour des citations… mais la puissance de feu en moins. Ce n’est pas tant une question de projection. Entendu du fond de cette salle où il s’exprime sans micro, Dmitry Baevsky passe la rampe jusque dans ses délicatesses qui évoqueraient, dans la ballade qui suit, plutôt Benny Carter et Art Pepper. Glissades, entrechats, toupies, qu’il s’agisse de remettre la gomme sur un up tempo ou de rebondir comme un ballon sur un moelleux tempo medium ou d’entrer chez ce Coiffeur latino de Dexter Gordon que nous avions oublié, l’articulation reste nette sans être appuyée. Contrebasse (Fabien Marcoz) et cymbale ride (Malte Arndal) s’entendent comme chevaux de concours d’attelage en paire. Jeb Patton connaît son Dmitry par cœur, sait tirer mille tiroirs secrets de ce répertoire de standards et d’originaux, et les deux comparses nous rappellent qu’ils signèrent autrefois un album en duo “We Two” qui s’ouvraient sur cette jolie swingin’ Samba où l’on se souvient soudain de Bud Shank. Rappel sur un joli ‘Round Midnight pour souhaiter bonne nuit au public. La veille, ils jouaient au Duc des Lombards à Paris, le lendemain, ils seront à Lurs, au pays du Hussard sur le toi, village au pied duquel la Durance se fraie un passage parmi les caprices du plissement alpin, et dont les habitants ont inventé ce joli nom, l’Osons Jazz Club. Prochain concert au Cabaret Jazz le 17 décembre prochain avec le merveilleux trompettiste Malo Mazurié et ses Three Blind Mice, comprenez Félix Hunot à la guitare et Sébastien Girardot à la contrebasse. On aimerait déjà y être. Franck Bergerot