Bye, Uncle Barry
« Je ne saurais vous dire combien j’ai appris de lui, aimait dire le baryton Pepper Adams. Je l’appelle Uncle Barry. » Héros discret du bebop, le pianiste Barry Harris était devenu au fil des années un enseignant vénéré par plusieurs générations de jazzmen jusqu’aux plus confirmés.
(Photo: Barry Harris avec l’arrière plan Duke Pearson et Freddie Hubbard en studio pour Hank Mobley le 5 février 1965 © Blue Note Records / Francis Wolff)
Barry Doyle Harris était né le 15 décembre 1929 et avait grandi à Detroit où sa mère, pianiste d’église, lui fit étudia le classique auprès de différents professeurs, notamment Mme Gladys Wade Dillard, chez qui il croisa Tommy Flanagan de trois mois son cadet. Jouant pour les bals du temps de sa scolarité, il découvrit le jazz au travers les chefs de file de l’époque, Fats Waller, Earl Hines et Art Tatum, mais conçut son premier choc pour le jazz moderne avec le 78-tours Webb City des Gil Fuller’s Modernists, octette emmené par le trompettiste Fats Navarro avec Bud Powell au piano. Dès lors, il n’eut de cesse d’apprendre à l’écoute de Powell, Charlie Parker ou Thelonious Monk.
Il connut son premier studio en 1950 pour enregistrer d’emblée sous son nom, deux faces 78-tours pour le label New Song avec le saxophoniste Frank Foster en 1950 (Santa Fé Shuffle avec chœurs en face A et l’instrumental Hopper Toper déjà très powellien en face B, improvisation sans thème sur les harmonies de Cherokee). Dès lors, il fait partie de la scène florissante de Detroit où il remplace Flanagan en mai 1954, comme pianiste maison du Blue Bird Inn. Il y jouera notamment avec Pepper Adams et Elvin Jones. C’est en tournant avec Max Roach qu’il s’émancipe de la scène locale en 1956, profitant d’un séjour estival new-yorkais pour enregistrer chez Blue Note avec Thad Jones, chez Prestige avec Hank Mobley, puis avec le tandem “Two Trumpets” de Donald Byrd et Art Farmer. En 1958 à Detroit, chez Argo, il enregistre son premier trio (« Breakin’ It Up”) devenu quartette auprès de Sonny Stitt (« Burnin’ »). Mais ça n’est qu’en 1960, à la demande Cannonball Adderley, qu’il s’installe à New York où quelques années plus tard il s’installera chez la Baronne Pannonica à Weehawken (New Jersey) où il vivra jusqu’au bout.
Analyste passionné de l’harmonie et des modes de jeu du bebop, il était devenu, dès avant son départ de Detroit, un maître en la matière, un mentor que l’on venait consulter de loin, un rôle qui a pris de l’importance une fois qu’il fut installé à New York et qu’il a exercé partout dans le monde au gré des tournées, animant workshops, master classes et cours privés, comptant parmi les bénéficiaires de ses leçons des personnalités aussi diverses que Christian McBride, Jason Moran, Sheila Jordan, Ethan Iverson ou Monty Alexander. En France même il compte ses disciples, tels le pianiste Laurent Courthaliac ou les saxophonistes Luigi Grasso ou David Sauzay.
Barry Harris a succombé au Covid-19 le 8 décembre, à quelques jours de ses 92 ans. Franck Bergerot