A New Morning for Daniel Humair et sa Drum Thing
« Drum Thing », entendez par là l’album qu’il a signé en 2020 chez Frémeaux avec son trio (Vincent Lê Quang, Stéphane Kerecki) augmenté d’un invité, Yoann Loustalot ponctuel dans le programme du disque et hier omniprésent sur la scène du New Morning. Entendons aussi par là cette chose que fait sonner Daniel Humair chaque fois qu’il s’installe derrière une batterie, cette chose qui est lui-même tout entier, le son-rythme Daniel Humair.
« A New Morning ». Oui, bien sûr nous étions au New Morning, mais quel étrange jeu de mot pour cet après-covid qui n’en est pas un et pour cet homme de 83 ans qui a passé sa journée à l’hôpital avec son épouse (pour une maladie qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le covid) et qui nous quittait hier en trainant seul ses 15 kilos de cymbales sur roulettes au long de la rue des Petites Écuries vers un taxi. Pourtant, lorsque j’entre au New Morning hier aux premiers applaudissements accueillant son installation sur scène, aucune lassitude ne transparaît, sinon cette distance narquoise dont je l’ai toujours entendu animer ses présentations. Au loin, je reconnais les compagnons de son trio depuis bien avant le Covid, ses anciens étudiants au CNSM : Vincent Lê Quang (saxes ténor et soprano), Stéphane Kerecki (contrebasse). Et côté jardin, Enrico Rava… qui a étonnamment rajeuni ! Suis-je bête, c’est Yoann Loustalot… Mais c’est vraiment ce qui m’est passé par la tête en apercevant la silhouette et la façon de bouger de ce quatrième larron dans une espèce de contre-jour. Passé cette étourderie, c’est ce son que j’entends… ces cymbales d’abord, alors que j’aidais Humair à leur faire descendre les quelques marches à l’entrée du New Morning, il me confiait qu’il ne sépare jamais de « ses » cymbales. Beaucoup d’autres batteurs le disent, mais Humair, c’est par elles qu’on le connaît d’abord, ce geste qu’il porte sur elles, qu’il s’agisse de faire lever de grandes abstractions ou de faire sonner sur la ride le chabada qu’il lacère de grands coups de griffes en travers de son set, chabada qu’il malmène parfois, mais auquel il reste infiniment attaché dans sa complicité avec le contrebassiste. Il y eut JF (Jean-François Jenny-Clark), il y eut Texier, il y eut Jean-Paul Celea, Sébastien Boisseau et d’autres… j’avais pu observer il y a quatre ans, à l’occasion d’un concert et de la balance qui l’avait précédée dans le cadre de Jazz Contreband la complicité qu’il appréciait avec Heiri Känzig et l’attention qu’avait ce dernier à rester le plus intimement placé dans le son de ce chabada en dépit des fluctuations de tempo qui peuvent toujours survenir. Stéphane Kerecki a cette complicité avec Humair. Ils sonnent ensemble. Je suis d’ailleurs étonné d’entendre si peu ces cymbales sur l’enregistrement de l’album « Drum Thing » que j’écoute en rédigeant cette chronique alors qu’elles dominaient tellement hier. On sent en tout cas chez Humair une jouissance gourmande à brasser cette matière sonore qu’il a devant lui et qui n’est pas seulement son set de batteur, mais aussi son orchestre et ce répertoire qu’il lui soumet. Certes, ses comparses y ont pris leur part pour lui donner forme, mais il y a là tout un univers qui remonte bien en amont du présent quartette avec des pièces comme Mutinerie, Ira Song, From Time to Time Free ou La Galinette. Il y a là un mélange de préméditation des structures et de liberté que devrait assouplir ce quartette encore tout frais, mais qui évoque les quartettes d’Ornette Coleman, et de Don Cherry(dont le souvenir se mêle à celui de Kenny Wheeler chez Loustalot, avec cette chose tout à la fois très droite et très folle que l’on ne sait trop comment qualifier chez Vincent Lê Quang. Franck Bergerot