Clément Abraham, les joies partagées d’un batteur leader
Le batteur Clément Abraham présentait hier son quartette Aux Anges, le fameux bistrot-café-concert du petit village de Quelven sur la commune de Guern.
Deux cymbales, une charleston, une caisse claire, deux toms et une grosse caisse. Il n’en faut pas plus pour donner la banane à Clément Abraham – fils du poète-gardien de phare Jean-Pierre Abraham – ni pour explorer les possibilités polyrythmique du swingchiding tel qu’il fut battu et décomposé par cet être hybride que l’on pourrait baptiser à la Joyce MaxBlakHayneslvin et dont on pourrait étendre l’identité à un Philly, un Shadow ou un Ben, mais j’y ajouterais plutôt un Shelly, comme Shelly Manne, tant ce bonheur de jouer qu’affiche Clément Abraham évoque – outre le sourire du grand ancêtre Jo Jones – le charisme des grands batteurs leaders de l’après-bop.
Or Clément Abraham ne se contente pas de charisme, il va au charbon. J’avais entendu son quartette encore bien jeunot, avec déjà Nicolas Peoc’h, au Sunset de Paris en 2014, à la suite d’une intense offensive de communication visant ma boîte mail. Depuis, comme vous-mêmes à la lecture de nos pages concerts, je n’ai cessé de voir son nom à l’affiche d’une multitude de lieux, des plus confidentiels cafés de plage au dernier Atlantique Jazz Festival. L’écoute de son dernier album « Joy Spring » (enregistré avec pour invité de tromboniste Johan Blanc), l’affiche du café-concert Aux Anges (quinze minutes en voiture de mon oreiller) et le râble de lapin « façon rognonnade, sauce moutarde à l’estragon » annoncé par le taulier Jean-Marie, m’ont incité à aller y voir de plus près.
Si l’on peut être surpris par une tension inattendue chez ce batteur qui fit ses débuts au Sénégal où il a vécu trois ans, impression peut-être consécutive à une retenue qui permet à son orchestre de jouer en club sans sono, au profit d’un élégant son de groupe, s’impose très vite le constat que ce leader ne se contente ni de motiver son groupe par un agenda bien rempli et une apparente joie de jouer. Il y met son âme à travers un jeu habité et une direction qui relève moins d’un quelconque exercice d’autorité que d’une écriture impliquant toute le potentiel orchestral de son quartette. Ses partitions, les idées mélodiques et rythmiques qui s’y nichent, circulent en permanence tant sur peaux et cymbales, en étroit partenariat avec son contrebassiste Simon Le Doaré, que dans le jeu de ses deux autres partenaires, selon des audaces structurelles qui l’emmènent au-delà du strict hard bop. Au piano électrique (un Korg au son de Fender Rhodes), Charles Bordais poétise l’espace avec une vivacité très funky. Nicolas Peoc’h (alto et soprano) ne manque pas de rappeler son expérience au sein du Nimbus Orchestra, grande formation bretonne en résidence saisonnière dans les années 2000 avec la bande du collectif Hask et même son mentor en personne, Steve Coleman dont le saxophoniste continue à prolonger l’héritage au sein de Khu (avec Johan Blanc). D’où, transposé auprès d’Abraham, un jeu très fourni, dense, aux angularités nerveuses dont on espère parfois quelque pause rêveuse et quelque relance. En tout cas un vrai groupe dont la cohésion fait plaisir à entendre et même à voir.
La semaine prochaine, le 5 mars, qu’on se le dise, Hélène Labarrière présentera aux Anges son nouveau projet, sur des hommages composés et dédiés à de grandes figures féminines (Jane Avril, Angela Davis, Emma Goldman, Louise Michel et Thérèse Clerc), arrangés par des musiciens dont la complicité a marqué son parcours (Marc Ducret, François Corneloup, Sylvain Kassap, Jacky Molard et Dominique Pifarély), à la tête d’un quintette de rêve : Catherine Delaunay (clarinette), Robin Fincker (saxophone), Stéphane Bartelt (guitare), Simon Goubert (batterie) et la contrebassiste que vous savez. Ne reste plus qu’à savoir quelle recette Jean-Marie mijotera ce soir-là à son menu. Création de ce programme « Puzzle » la veille au soir (le 4) au Vauban de Brest , reprise le 6 au Run Ar Puñs de Châteaulin (où le groupe a profité d’une résidence). Hélas, mon oreiller aura quitté la Bretagne à ces dates. Franck Bergerot (photo © X. Deher)