No Tongues, de(ux) Trois Sauts à Langonnet
En avril 2016, dans le cadre du festival “Couleurs du monde” organisé par la Grande Boutique de Langonnet, Jazz Magazine avait assisté au concert de création du groupe No Tongues sur un programme que nous avions qualifié de « sampling à l’huile de coude ». Les revoici à la Grande Boutique, avec un nouveau programme ramené de Guyane, “Les Voies de l’Oyapock”.
Après “Les Voies du Monde”, détournant le titre de l’anthologie “Les Voix du Monde” rassemblée par les ethnologues Hugo Zemp, Gilles Léothaud et Bernard Lortat-Jacob, “Les Voies de l’Oyapock” font référence au fleuve que suit la frontière entre le Brésil et la Guyanne. Un fleuve que les quatre musiciens de No Tongues – Alan Regardin (trompette), Matthieu Prual (saxophones, clarinette basse), Ronan Courty, Ronan Prual (contrebasse) – ont remonté en pirogue : une journée de navigation pour atteindre le bourg de Camopi, puis une autre pour atteindre les villages de Trois Sauts. C’est là qu’ils se sont rendus en 2018 lors d’un voyage de trois semaines sur les conseils de l’ethnomusicologue Florent Wattelier et qu’ils ont pu travailler avec les musiciens des tribus amérindiennes Teko et Wayampi.
Présentation du concert par Perrine Lagrue qui a repris brillamment la direction de La Grande Boutique créée par Bertrand Dupont dans le petit village de Langonnet en Centre Bretagne, à l’écart des grands axes routiers et ferroviaires, où Dupont a fait d’une ancienne et grande auberge une sorte de Village Vanguard breton. La musique bretonne traditionnelle et de création y a sa place, ainsi que tout ce qui l’a nourrie depuis le renouveau des années 1970, du jazz au rock, des musiques africaines aux Balkans… ce dont témoigne le label Innacor qu’il a également créé et qu’il continue à animer.
Le concert commence logiquement par les bruits de la forêt amazonienne, insectes, oiseaux, bruits de feuillages et d’eau, et bien évidemment le moteur de la pirogue, en ouverture d’une série de pièce recueillies sur place. Comme dans le premier projet, les instruments européens sont “préparés”, “repréparés”, “détournés” de mille manières pour endosser les sons et les modes de jeu des musiques amérindiennes, dont surgissent ici et là des échos enregistrés. C’est époustouflant de qualité de la réalisation, de technique instrumentale, mais aussi de pouvoir d’évocation. Sur quoi se greffe cette maîtrise vertigineuse des polyrythmes et des systèmes de clave propre à cette génération de musiciens grandis avec la descendance de Steve Coleman. En auraient-ils trouvé des équivalents auprès des tribus Teko et Wayampi. Non, avouent Ronan Courty et Matthieu Prual interrogés au bar après le concert, mais qui racontent avoir été surpris par des ressemblances des chants avec le blues. En revanche, les couches sonores des bruits de la forêt ont nourri cet impressionnant vocabulaire rythmique.
Depuis une nouvelle résidence à La Grande Boutique à l’automne dernier, No Tongues travaille sur un nouveau projet. Pas de sources musicales lointaines, mais des musiques “confinées”.
Prochains rendez-vous à Langonnet : le festival Le Plancher du Monde du 27 au 28 mai où se donneront rendez-vous des musiques des quatre coins du globe, avec notamment Tryptique, hommage au guitariste Jacques Pellen victime de la première vague de covid, par Jacky et Patrick Molard, Sylvain Barou, Ronan Pellen et Hélène Labarrière. Franck Bergerot