Jazz sur le Vif : SYLVAIN RIFFLET «Troubadours» et MATHIAS LÉVY «Les Démons familiers»
Soirée atypique, avec deux groupes aux musiques singulières : le quartette de Sylvain Rifflet, qui s’inspire des troubadours (et de leurs consœurs, comme la trouveresse Béatrice de Die) ; et les ‘Démons familiers’ de Mathias Lévy, qui explore toutes les strates des musiques, populaires comme savantes, qui on forgé son univers musical.
‘Troubadours’, pendant la balance
SYLVAIN RIFFLET «Troubadours»
Sylvain Riflet (saxophone ténor, clarinette, shruti-box), Verneri Pohjola (trompette), Sandrine Marchetti (harmonium), Benjamin Flament (percussion)
Maison de la Radio (et de la Musique), studio 104, 30 avril 2022, 19h30
Pour célébrer cet univers modal et médiéval, Sylvain Rifflet a rassemblé une équipe hors du commun. Verneri Pohjola, trompettiste finlandais à la sonorité et à l’expressivité sans pareilles, construit avec le saxophoniste un dialogue d’une richesse impressionnante. Sandrine Marchetti, avec un harmonium traditionnel de la musique indienne, pourvoit à un soubassement harmonique qui excède largement le rôle traditionnel des bourdons de la musique ancienne. Et Benjamin Flament, avec son dispositif de percussions sans équivalent, est comme un magicien des rythmes et des timbres. Le groupe joue le répertoire d’un CD publié fin 2019, juste avant la pandémie.
Il a pu cependant faire entendre cette musique dans un certain nombre de concerts, et c’est l’avant dernière date de la série. Un nouveau programme a vu le jour, avec une instrumentation légèrement différente, et un nouveau disque. Mais c’est là une autre histoire.
Au fil du concert, très vite les monodies vont engendrer des dialogues, des joutes et des contrepoints qui vont s’épanouir dans cet univers modal. Les rythmes et les timbres des percussions s’invitent dans ces échanges croisés, et le monde médiéval tutoie la musique répétitive comme l’effervescence balkanique. L’expressivité est intense, dans les envolées solitaires et improvisées comme dans les exposés mélodiques. Dans la retenue d’hymnes presque sacrés comme dans l’éclat, la dramaturgie musicale nous a captivés. Grand moment de musique !
MATHIAS LÉVY «Les Démons familiers»
Thomas Encho (piano), Jérémy Bruyère (contrebasse), Matthieu Chazarenc (batterie), Mathias Lévy (violon, compositions), Maëlle Desbrosses (alto), Bruno Ducret (violoncelle), Jean-Philipppe Viret (contrebasse), Grégoire Letouvet (arrangements)
invités : Laurent Derache (accordéon), Hugues Mayot (clarinette basse, saxophone soprano)
Maison de la Radio (et de la Musique), studio 104, 30 avril 2022, 21h
(Les Démons Familiers, pendant la balance)
Le dispositif musical de cette seconde partie est totalement différent : un trio de jazz (piano, contrebasse, batterie) associé à un quatuor à cordes (violon- le leader-compositeur-, alto, violoncelle et contrebasse) ; et en invités clarinette basse et accordéon. Ce concert célèbre la sortie d’un disque tout récent
Le concert commence sans les invités : les cordes s’accordent, et de ce rituel d’accordage surgit, en fondu-enchaîné, la musique. Elle est intensément lyrique, très bien écrite et orchestrée, les solistes sont brillants, sans transgresser le cadre harmonique. Les invités viendront s’y fondre au fil du programme, qui puise à toutes les sources, des Balkans à l’univers tsigane en passant par le romantisme ou la musique française de l’orée du vingtième siècle, voire un éclat de soul jazz épicé de rhythm’n’blues. Ailleurs, un court instant, je crois déceler une allusion à Blue in Green de Bill Evans. Chaque instrumentiste aura, au fil du concert son espace d’expression. À la faveur d’un intro en solo Bruno Ducret, en joyeux trublion presque punk, va fracturer cet univers brillamment ordonné par des modes de jeu transgressifs, soumettant son violoncelle à quelques traitements hétérodoxes. Le groupe y puise un nouvel élan. Si Jérémy Bruyère est généralement affecté au pizzicato très jazz quand Jean-Philippe Viret joue de l’archet dans le quatuor, les rôles s’inversent parfois, et l’un et l’autre se feront entendre en solistes, dérogeant à leur fonction initiale. Le public est conquis, le chroniqueur ne l’est pas moins, mais à 22h07, au début de ce qui sera peut-être la conclusion du programme, il doit courir jusqu’au métro Ranelagh. Comme trop souvent depuis deux ans, le dernier RER ‘E’, au lieu de partir comme naguère vers 1h du matin, quittera la Gare Haussmann-Saint-Lazare avant 23h.
22h52, je suis sur la quai, l’ultime correspondance partira dans 6 minutes : ouf ! Même si elle fut écourtée comme souvent par les lacunes du réseau Transilien, ce fut une belle soirée de musique !
Xavier Prévost