Leïla Soldevila, Émilie Lesbros et Rafaëlle Rinaudo : “Line & Borders” au Petit Duc
Ce 13 mai, on pouvait voir et entendre sur nos écrans, en direct du Petit Duc d’Aix-en-Provence, le concert du trio imaginé par la contrebasssiste Leïla Soldevila avec la chanteuse Émilie Lesbros et la harpiste Rafaëlle Rinaudo.
Leïla Soldevila, nous l’avons découverte dans ces pages à l’automne dernier sous le chapiteau du Surnatual Orchestra avec le Kami Octet du guitariste Pascal Charrier au sein duquel une certaine Emilie Lesbros donnait de la voix. Nous avions fait connaissance avec cette dernière il y quelques années auprès de Barre Phillips dans les déclinaisons du projet Emir et notamment l’opéra La Vie est un songe. Connaissant ses affinités pour la musique contemporaine, le théâtre, la danse, le rock et le punk, on savait aussi qu’elle s’était frottée à la scène new-yorkaise, soumettant les propositions de sa voix et de ses textes au quartette du saxophoniste Darius Jones, du pianiste Matt Mitchell, du contrebassiste Pascal Niggenkemper et du batteur Ches Smith. Et en France elle a monté un duo avec la harpiste Rafaëlle Rinaudo. Celle-ci pratiquant une harpe sans pédalier, mais connectée à toutes sortes de pédales d’effets, s’est illustrée dans la classe de musique générative du CNSM de Paris, avant de se faire connaître notamment au sein du trio Ikui Doki aux côtés de la bassoniste Sophie Bernado et du saxophoniste Hugues Mayot.
L’association de ces “Line & Borders” s’est faite au travers de deux résidences, au Cri du Port de Marseille et au Petit Duc d’Aix-en-Provence, avec également le soutien du festival Charlie Free qui les accueillera ce 1er juillet, et de l’IMFP où elles entreront ensuite en studio. Mais dès ce deuxième concert, on est impressionné par la façon dont les deux complices de Leïla Soldevila se sont emparé de ses idées de départ et des propositions de son pizz et de son archet. Émilie Lesbros par ses textes qu’elle dit avec les mains comme mises en scène par quelque pointilleux dramaturge, et par ses “vocalises” admirablement articulées avec les gestes musicaux des deux instrumentistes qui l’entourent, les images en superposition du streaming du Petit Duc soulignant particulièrement cette complémentarité. Rafaëlle Rinaudo par l’économie de son dispositif électronique, la précision de ses jouages et l’élégance rythmique donnée à “l’inélégance” supposée de cette manipulation des taquets ou clapets nécessaire à l’obtention sur cette harpe diatonique du tout chromatique qu’exige l’écriture de sa comparse, élégance singulièrement partagée dans cette pièce où la harpe se fait qanun et où la contrebasse se souvient de quelques maqâm arpentées par Leïla Solevila lors d’antérieures collaborations moyen-orientales. Deux concerts, et déjà la musique et les mots circulent avec une belle souplesse. Franck Bergerot