Jazz live
Publié le 11 Juin 2022

Le souffle de Don Menza

A 86 ans, le saxophoniste italien Don Menza est passé sur le Sunside comme un cyclone.

 

Don Menza (ténor saxophone), Joe magnarelli (trompette), Stéphane Kurmann (contrebasse), Bernd Reiter (batterie), Sunside, 5 juin 2022

Quel son ! Des saxophones ténors velus, trapus, bourrus, on croyait connaître. Mais celui-là…A 86 ans, et malgré quelques pauses-bières entre les chorus, Don Menza a les naseaux qui fument. Il souffle ses tripes, ses os, ses muscles, et sa cervelle dans ses solos. Un son énorme, vorace, mordant, carnassier, vibrant dont il a forgé les aspérités auprès des plus grands (Buddy Rich, Stan Kenton, Maynard Ferguson…).  Mais le phrasé aussi est impressionnant. Dans les thèmes up, il produit des sortes d’accélérations dans l’accélération, donnant l’impression d’être débordé lui-même par sa propre vitalité, comme une cocotte-minutes sur le point de sauter (sans doute, de manière pragmatique, la pratique de la respiration continue contribue t’elle à cette impression).

Il maîtrise tous les registres de son biniou, et s’échappe vers des suraigus surchauffés, bref son saxophone ténor lui obéit au doigt et à l’œil dans un répertoire où l’on compte nombre de thèmes be-bop pris ventre à terre ( belles versions de Dig, ou de Voyage) mais aussi de Charade de Henry Mancini (avec qui il a travaillé).

Don Menza n’est pas tout seul dans sa tentative de souffler sur le Sunside jusqu’à le renverser. Le trompettiste Joe Magnarelli n’est pas mal non plus. Un autre cador, en fait, qui a joué avec Mulgrew Miller et tant d’autres. Il maîtrise le vocabulaire be-bop et hard-bop à la perfection, avec des lignes d’arpèges implacables qui s’abattent comme de la grêle. Il lui manque peut-être, à la trompette, le frémissement de risque  de son leader. Mais au bugle, il a des sinuosités et des sorties de route qui poétisent son jeu et le rendent pleinement convaincant (version magnifique de The nearness of you).

Quant au pianiste français qui accompagne ces deux maestros, Olivier Hutman, il ne cherche pas à jouer hard-bop, enchaîne des moments de flânerie sur le piano suivie d’accords violemment plaqués. Ses interventions aèrent la musique, dans un bel effet de contraste avec le jeu des deux soufflants. La section rythmique groove et pulse (Bernd Reiter, le batteur met son énergie au diapason de celle du leader).

Don Menza possède une manière de communiquer naturellement avec le public, avec en plus 60 ans de petites blagues bien rodées (« If you feel like dancing, don’t », ou, s’adressant à deux jolies filles qui partent avant la fin, « What did I say ? »). Mais ce sont les qualités musicales du bonhomme qui rendent la soirée inoubliable, avec en particulier cette version de Body and Soul qui concentre tout le bagage musical d’une vie, avec en prime la célèbrissime cadence de Colemand Hawkins qu’il joue voluptueusement à la fin. Superbe concert.

 

Texte : JF Mondot

Dessins : AC Alvoet (autres dessins, pentures, sur son site www.annie-claire.com)