Wolfi Jazz Festival, Jour 3 : Dirty Deep, Robin McKelle & The Flytones, Popa Chubby
Dirty Deep, dans la tradition country
Pour commencer, un trio local, Dirty Deep, qui puise ses roots dans les Etats du Sud pour composer des dérives de blues, de folk et de musique country. Dans la lignée de leur dernier disque, « Foreshots », voici un concert acoustique : à la contrebasse, Adam Lanfrey, à la batterie, Geoffroy Sourp, et à la guitare, au chant et à l’harmonica, Victor Sbrovazzo.
Si le groupe aime faire dans le delta blues et le worksong bien « dirty » (Downtown Train, Roads), il se livre également à des moments instrumentaux plus profonds, et le guitariste nous offre un moment d’intimité, qui fait transparaître une admiration pour Tom Waits…
Cette intimité s’accroit encore lorsque les rois musiciens descendent dans la fosse, au milieu du public, pour chanter un dernier morceau a cappella.
Robin McKelle, l’âme dans le coeur
La soirée se poursuit avec l’éclatante Robin McKelle et sa bande, les Flytones. Cette fois-ci, un hommage total à Memphis et les labels mythiques qui y sont nés : Stax et Sun Records. Le set commence avec Who Do You Think You Are, un grand classique. Une voix puissante, doucement éraillée, fait honneur à l’une des plus grandes voix de la Stax, Mavis Staples, qui a fait de ce morceau un tube auprès des Staple Singers. L’assemblée se remue déjà aux pieds de la chanteuse. Les musiciens qui l’entourent sont tout aussi excellents. Deux cuivres, Alain Cazcarra (trompette) et Sax Gordon (au sax), des accompagnateurs qui maitrisent le rhythm et le blues, et pour ce qui est du saxophoniste, il s’agit d’un soliste probablement possédé par le diable en personne. Une rythmique impeccable assurée par Bill Campbell, le métronome, et Matt Brandau, dont le groove est attesté par Elvis Costello, Pete Rock et Brandford Marsalis, entre autres. À la guitare, Al Street, un feu d’artifice, qui ne rechigne pas à jouer de la guitare à genoux, derrière la tête… Sa Fender hurlante est une bonne entrée en matière pour la troisième partie de la soirée. Deux choristes également, Monique Harcum et Sabreen Staples, que Mrs McKelle laisse chanter en soliste sur What A Man.
Au milieu de tous ces tubes des années Stax/Volt, on retrouve un bon blues de Memphis, orgue et slide au programme, mais aussi une ode au voyage de Robin McKelle à Memphis pour son album « Heart Of Memphis » sorti en 2014.
La chanteuse montre à plusieurs reprise l’amour et le respect qu’elle porte à ses musiciens, et s’éclipse même le temps d’un morceau pour laisser la folie improvisatrice s’emparer de son saxophoniste et de son claviériste, qui n’attendaient que ça pour exploser.
C’est sur quelques tubes encore que le concert prend fin : Respect Yourself (un trait d’humour de la chanteuse sur les paroles « Put your hand on your mouth when you cough…Covid style »), Take Me To The River…C’est bien sûr, ce soir nous sommes au festival de Memphisheim.
Une leçon de blues avec Popa Chubby
La dernière partie de la soirée se passe en compagnie de l’éminemment sympathique Theodore Horowitz, alias Popa Chubby. La gentillesse n’est pas seule à abonder chez cet éminent guitariste. Celui qui fête cette année ses 30 ans de carrière et vient de sortir un 36ème disque, « Emotional Gangster », est un grand technicien, un musicien engagé, et un compositeur prolifique.
Étonnamment, le morceau d’ouverture me rappelle fortement un autre morceau d’ouverture : Bodhisattva, une composition de Becker et de Fagen, ouvre leur album « Countdown to Ecstasy », et partage une partie de ses harmonies (le A, si je ne m’abuse), avec ce blues joué par Popa Chubby. Ce qui me permet de vous introduire à la conception musicale de l’artiste : « Je ne suis pas un bluesman, mais un musicien de rock influencé par le blues ». Des influences qu’il ne cache pas, car cet émule de Jimi Hendrix, qui nous a offert une version poignante de Hey Joe, compte parmi ses maîtres Albert King, le bluesman de Stax, Elmore James, dont il reprend Dust My Broom, et également source d’inspiration de Frank Zappa, ou encore Muddy Waters, Willie Dixon…
Sur scène, il est accompagné du bassiste Michael Merritt, du batteur Stefano Giudici et du claviériste Luca Chiellini. Sa femme l’a accompagné sur scène, lui a laissé un baiser, et Popa, ému, lui fait une déclaration en musique : « Je voudrais jouer un morceau pour ma merveilleuse femme, et pour toutes les femmes ici ce soir. Il y a beaucoup de jolies femmes ici…mais ma femme est la plus belle. » Et il nous perce le cœur en faisant pleurer ses cordes d’acier et de chair sur l’éternel I’ve Been Loving You For Too Long.
Un véritable emotional gangster, mais aussi un sage homme, militant antiraciste, et qui s’efforce à rappeler les terribles origines de cette musique sur laquelle nous dansons. « Vous ne pouvez pas jouer du jazz si vous ne savez pas jouer le blues. Le blues est la racine de toute notre musique, et a été créé par les Noirs, réduits à l’esclavage en Amérique. »
Popa Chubby joue des morceaux de son dernier disque, comme le fameux Hoochie Cootchie Man de Willie Dixon, mais aussi des compositions originales (Equal Opportunity, You Better Save The Best For Last). Il se montre même multi-instrumentiste en prenant place derrière un set de batterie, pour un dialogue de percussions concrètes mémorable, le tout sur un blues martial.
Outre ses talents de musicien, Popa sait aussi passionner son auditoire, ce qui explique sûrement l’engouement des publics européens pour un blues qui a du mal à traverser l’Atlantique. Il enchaîne les morceaux en plaçant quelques citations bienvenues, comme le Misirlou de Dick Dale, que tout le monde aura reconnu comme étant la musique introductive de « Pulp Fiction ».
J’aurai malheureusement été privé, comme tout le monde, d’une soirée qui s’annonçait de grande qualité, avec la divine Melody Gardot, qu’on ne présente plus, et le violoniste Florin Niculescu, pour un « Gypsy All Stars ». Mais ces deux soirées m’ont déjà suffi à cerner l’ambition de ce festival, et le combat qui fait rage dans l’enceinte du Fort Kléber. Le Wolfi Jazz Festival combat les frontières, et rappelle constamment à son public, dans la diversité de sa programmation, que le jazz est multiple, pluriel, et en constante évolution. Que ce soit en montrant ses racines blues, ou en explorant ses divers courant, du swing manouche au jazz vocal, et en mettant en avant de jeunes formations qui, après plus d’un siècle de musique improvisée, trouvent toujours à jouer avec les codes et à inclure cette abondante histoire du jazz dans un style nouveau, le festival de Wolfisheim, en Alsace, à quelques kilomètres de Strasbourg, excite la curiosité et permet bien des découvertes.
Walden Gauthier
Crédit photos : Walden Gauthier