Sons d’été au Rocher de Palmer(2): jazz phénoménologique
Pour sûr ce n’est pas chose commune. Sans doute cela ne doit pas être non plus prévu pour le sur-lendemain d’un 14 juillet. Ni même programmé pour épater une galerie de tableaux jazz dite de sons d’été projetée des mois à l’avance dans la construction d’un festival. Pourtant, à propos de portraits tirés, avoir de ses yeux vus les images folles animées ô combien ! et, mieux, entendu les feux d’artifice des tonnerres successifs produits par Sarah Mc Coy, voix et piano telluriques puis Edward Perraud en solo d’agit pas si prop(re) de batterie sur une même scène du Rocher de Palmer le même soir de juillet, croyez- moi,ça décoiffe…grave !
Sons d’été, Rocher de Palmer, Cenon (33120)
15 juillet
Sylvain Rifflet (ts), Airelle Besson (tp), Julien Lourau (ts), Chloé Caiileton (voc), Nelson Veras (g), Padcal Schumacher (vib), Florent Nissa (b), Zig Ravitz (dm), Rémi Rière, Akem Filon (vln), Benachir Boukhatem (alto), Julien Decoin (cello)
Une sacrée ambition. Faire revivre la musique de Stan Getz disséminée dans près de 400 disques enregistrés au cours de la carrière du saxophoniste disparu il y a trente ans et qu’on avait re-baptisé « The Sound » c’est dire. Pour ce faire Sylvain Rifflet rassemble sur scène pas moins de douze musiciens, avec parmi eux/elles un quatuor de cordes. Ce qui donne déjà idée d’une couleur sonore. Une introduction à deux souffles légers déjà pour commencer, ténor et trompette oû l’on retrouve Airelle Besson (Line for Lyons) Puis placé intentionnellement au devant de l’orchestre, revient le saxophone ténor. Celui de Julien Lourau en l’occurence, colonne d’air ample, mesurée, typée souple dans le grain du son offert en complicité avec le vibraphone de Pascal Schumacher. Rien que de très normal d’ailleurs pour servir Getz et un de ses thèmes peu connu, Pennies for heaven composé à Paris suite à une journée passée à Roland Garros.
Comment y échapper ? Suit donc une série bossa portant la voix de la chanteuse Chloé Caiileton «Il y en aura toute une série de bossa novas, alors si vous les reconnaissez toutes je vous offre un de mes disques… » galèje Sylvain Rifflet. Et à part The Girl from Ipanema, à vrai dire…Un court solo de Nelson Veras sans réminiscence particulières d’ailleurs au global « brasilian sound »n’était là royale limpidité du son au bout d’une longue séquence marquée par l’empreinte des cordes. Se dégage de ces arrangements très soignés, complexe dans la masse harmonique avec l’apport des violons et violoncelles un bouquet de sonorités, mélange de la douceur de son et des parfums mélodiques comme il se doit chez un Getz à ce moment de sa riche histoire ainsi brésilianisé. Il aura fallu pourtant attendre le moment d’un chorus au sax ténor de Sylvain Rifflet, sans complexe, pour revenir sur le « sacré » du son « getzien », soit le côté très coulé du phrasé en marque déposée, avec en accompagnement métallique clair toujours du vibraphone en fond d’écran.
Un titre (I’m late) extrait d’un album de Getz « Focus » – « pas le plus connu, dommage! » remarque Rifflet au passage le saxophoniste qui s’en fait le prosélyte- marqué par les strates des cordes. Deux chansons interprétées en leur temps par Abbey Lincoln « Elle, je l’adore » précise encore Sylvain Rifflet. Et en guise de final ce dernier revient sur l’évocation de moments de vie musicale de Stan Getz plus « roots » racines du jazz, celle du mythique trio Dynasty avec René Thomas, Eddy Louis et Bernard Lubat (Dum, dum, dum)Julien Lourau à nouveau fait le lien puisqu’il’a officié lui auprès d’Abbey Lincoln. Revient, s’imptime encore et toujours ce son de ténor qui caresse,qui séduit au premier écho. Et, surtout ne pas l’oublier s’invite le jeu de batterie parfaitement dosé, quelque soit le climat abordé, de la part de Ziv Ravitz.
L’idée même de ce « Remember Stan Getz » portés ur scène en hommage relevait d’une sorte de pari Il fallait pouvoir satisfaire à l’ambition, aux exigences d’un projet écrit pour douze musiciens. Sylvain Rifflet y a souscrit. Exercice musical pas si facile, exigeant en terme d’écoute de la part du public.
Notoirement réussi.
16 juillet
Rocher de Palmer
Sarah MC Coy (voc, p), Jeff Halam (b, clav), Antoine Kerninon (dm, synthé)
« C’est énorme ! » clamait à postériori un spectateur ébahi d’émotions. Expression inconvenante peut être, même si elle recouvre une réalité eu égard au volume physique de la chanteuse musicienne poussée du côté de la Louisianne, Un personnage en toute hypothèse, une présence forte, de la prestance à revendre, une voix terrible. Et un verbe qui se révèle déjà dès l’entame du spectacle- car c’en est un !- seule au piano. S’expurgent aussitôt des histoires de blues intérieur(Some day I go into my soul) ou exporté vers l’autre (aimant/amant) s’il faut en croire ses présentations tentées en français, pleines d’humour et d’amour vache. « I would be a boogieman » sur des accords de piano là plutôt discret donne également des traces de sa propre existence.
Dès lors le ton monte, le volume aussi. En trio désormais ses histoires plus noires que blanches suivent le courant continu de cette voix puissante, dure, sombre, violente au besoin. Rien à voir avec la tonalité presque pastel de son album Blue Note. On devine un effet d’écho obligé plaqué sur ce souffle vocal devenu tellurique à l’unisson du martèlement d’accords sur les touches du piano. Break nécessaire dans cet ascension pour un échafaud climatique intérieur: Sarah Mc Coy s’éloigne du piano, prend le micro, face au public, longue chevelure jetée en arrière, pousse le blues d’un feeling qui fleure le vrai, le vécu « I leave you because I can »
Le plan final la fait revenir vers sa mère à qui elle demande de prier « Mama’s song ». Les notes s’égrènent douces sur le piano enfin, comme si, sous doigts aux ongles colorés vif, il s’agissait de les assagir. Unique moment d’étal dans un concert tempête.
Sarah McCoy en version live est-ce un Tom Waits au féminin ? Une Janis bis pour l’énergie, la folie du timbre ? Une figure de personnage digne de s’imprégner dans des images d’un film des frères Cohen ?
Le public aura beau réclamer, point de rappel. La canicule restera à la porte du Rocher.
16 juillet
Rocher de Palmer
Thomas de Pourquery (as, voc), Laurent Bardaine (ts, voc), Fabrice Martinez (tp, bu, voc), Arnaud Roulin (p, perc), Frederick Galiay (b), Edward Perraud (dm)
Ne pourrait-on faire un lien avec le chapitre precédent ? Établir, qui sait, un parallèle avec ce qu’au siècle dernier on baptisa “punk attitude” ? L’expression corporelle dit des choses aussi dans la musique produite par le Supersonic. Il suffit de garder un œil sur le batteur… Comme précédemment évoqué donc, voilà un concert de mouvements perpétués. Regards, têtes, crânes, chevelures, bouches, mains, bras, membres inférieurs interagissent avec les instruments en agitation, montées-descentes, secousses…
La musique de l’orchetre, plurielle, est mobile elle aussi. Elle se meut d’une voix à trois voix chantée, du solo au sextette en passant par le trio piano/alto sax/batterie pour bifurquer carrément jusqu’au duel lorsque Edward Perraud suragit en artificier générateur de sons percussifs. Puis, in fine, d’un son plein, Thomas de Pourquery caresse la mélodie avant de la fracasser à nouveau, plus free que jamais.
Dans une telle cosmogonie fantasmée de notes et rythmes s’avance la tempête avant le calme (Yes, yes, yes). Tonne alors l’orage des peaux et des cuivres, précédant sans annonce de beaux espaces de souffles apaisés : ténor, alto et bugle mêlés. Supersonic expose ainsi de longues séquences parsemées d’autant de hachures, de contrastes, de tempêtes sonores, avec ou sans voix conjuguées à l’unisson. Et puis un solo d’Edward Perraud, en bruits, en mouvements et autres surprises gestuelles reste un spectacle à lui seul.
Robert Latxague