San Sebastián(3): JazzEñe, España la nouvelle vague
Tous et toutes, musiciens et musiciennes vivants sur le territoire espagnol louent le décor confortable et plutôt chic du Théâtre Victoria Eugenia situé en plein centre de la capitale du Guipúzcoa entre le palace Maria Cristina et la plage de la Zurriola, la plus grande capacité du Festival (Bob Dylan s’y est par exemple produit une année devant une audience estimée à près de 50 000 spectateurs…) Pourtant, pour chacun des groupes invités dans le cadre de l’opération Jazzeñe qui vise à la promotion du jazz made in Spain, le plus excitant reste sans nul doute l’accueil du public, lequel vient très nombreux chaque midi pour découvrir de jeunes musiciens jusque là totalement inconnus à leurs yeux, à leurs oreilles. Le prix d’entrée très bas y contribue largement. Jazzaldia à ce titre représente sans conteste pour le jazz ibérique en devenir un facteur démultiplicateur.
JazzEñe, Teatro Victoria Eugenia, San Sebastián/ Donostia, Euskadi/España
22 juillet
Verónica Ferreiro (voc), Javier Sánchez (g), Moisés Sánchez (p), Ander García (c), Andrés Litwin (m)
Elle possède une voix claire, elle l’utilise toute en souplesse. Elle chante en « gallego », langue de la Galice. Très présente sur scène -un peu trop qui sait parfois au dépend du travail des musiciens- Veronica Fereiro dit, chante beaucoup de texte. Elle se plaît à jouer en rebonds successifs sur les coupes rythmiques, sur les inflexions de là mélodie pour fournir autant de formes couleurs. Au passage elle fait référence à Sylvia Perez Cruz (sait elle que la chanteuse catalane, présente de nombreuses fois dans le programme de Jazzaldia regorge de fans dans cette ville basque ?)
La musique du groupe puise dans des ressources naturelles différentes, jazz, pop, folklores toutes mises au service de la voix. Le guitariste, dans ses chorus montre qu’il a écouté Pat Metheny. On a connu pire référence.
Carlos Sarduy (tp, conga, cla), Alejandro Vargas (p), Dany Noel (b), Naile Sosa (dm)
Trompettiste cubain vivant actuellement à Formentera, un petit bijou d’île dans les Baléares, il fait partie des personnalités qui comptent dans le « mundillo » le petit monde du jazz espagnol. On a pu le voir évidemment dans les différents orchestres de Chucho Valdes, mais également au sein du Comité sorte de All Stars de la jeune génération de musiciens de jazz cubain. Du brio dans l’ensemble de son jeu, de l’attaque sur les solos, une sonorité tranchante sur la trompette mais un son de velours sur les balades dès l’embouchure de son bugle. Pourtant avec son propre groupe ici, au delà de l’habileté technique et de l’inspiration propre aux cuivres de La Havane il démontre à San Sebastián qu’i sait y faire également en matière de congas ou même sur un clavier. À ce titre il se plaît visiblement dans de bonnes parties d’échanges rythmiques avec le piano en guide de jeu (un savoir faire certain de la part Fr Moisés Sanchez dont on reparlera » Il évolue aussi à son aise sur des moments jazz comme dans le développement d’une « rumba », ces airs de fêtes cubains lancées comme autant d’appel à la danse. « Sabroso » clame néanmoins une spectatrice au tou premier rang, enjouée, séduite, sensible comme breaucoup en Espagne aux airs chauds venus de Cuba. Seul regret que Carlos Sarduy exprime sourire aux lèvres « Je voulais enchaîner sur une ballade mais le temps imparti aux groupes par JazzEñe est déjà presque écoulé… » Dommage oui, vraiment car ses échappées belles, vives et moelleuses à la fois au souffle du bugle sonnent également « sabroso » Savoureuses.
23 juillet
Moises Sanchez (p)
Ce pianiste de jazz passé bien sûr par une formation classique témoigne d’un fond musical bien imprégné de son univers, de sa culture ibérique. Il construit ainsi des petites figures, des miniatures qui s’ouvrent sur des séquences mélodiques au fur et à mesure du propos choisi. Les lignes vont ainsi s’élargissant, mais toujours intégrées dans un registre rythmique très serré. Pour lui dans l’exercice particulier du piano solo -dont on ne peut prendre connaissance que sur scène car il n’a jusqu’ici pas enregistré de disque en ce sens- l’improvisation « ouvre des horizons » Il s’est produit notamment aux côtés de Benny Golson. Et ce dernier, un jour, lui a confié un de ses credos « On ne peut pas se prétendre musicien de jazz si au cours d’un concert on ne joue pas un thème de Duke Ellington »
Sa pratique du piano solo lui fait livrer un contenu très dense, très fourni comme pour éviter la parenthèse du silence, le décrochage de l’audience. Avec beaucoup de ressenti dans les gestes, l’expression du visage animé d’un drôle de mouvement constant des lèvres sur lequel on croit lire la partition de chants intérieurs. Images musicales originales d’un piano toujours mis en relief.
Daahoud Salim (piano), Bruno Calvo (trompette), Pablo Martínez (trombone), Hendrik Müller (contrebasse), SunMi Hong (batterie)
Avant que de jouer il prend le micro d’autorité pour lancer un cri d’alerte sur ce que l’on mange en Espagne, sur les dangers de la sur-consommation, sur le devenir de la planète en général. Marque déposée d’une génération. Puis il plie sa grande carcasse pour s’arc bouter sur le piano. Piano très Monk au départ d’ailleurs, qui enclenche une évolution de contenu rapide vers une musique plus modale. Le premier solo, celui du tromboniste cadre avec des schémas rythmiques très carrés. Sur le clavier, les accords se suivent et se répètent comme à l’infini figurant une ligne de fuite virtuelle mise en perspective. Le solo de batterie, conjugué au féminin lui, s’avère bien réel, exhibition fine plus qu’exposition mécanique de coups de baguettes modélisés.
Daahoud Salim annonce un dernier morceau inspiré d’une histoire d’amour qui n’existe plus. « Du coup j’ai préféré l’intitulé…Sans titre ! » Trombone (Pablo Martinez, ès qualité) et trompette, en chorus, sortent du lot. Et, couleurs de cuivres et du piano « qui sas, qui sas » comme dit la chanson, cette musique ce soir sonne décidément plutôt «Jazz Messengers »
24 juillet
Berta Moreno
Elle le dit, elle le fait « Ma musique est une ode à l’Afrique » Voix et sax ténor œuvrent en ce sens en lignes parallèles. Le son du ténor de la saxophoniste qui vit à New York sort, chaud, rond, en phrasé puissant, tout sauf lisse. Au contraire, sonorité légèrement compressée et piquée d’accents. Berta Moreno, paraît en recherche permanente de points, de rebonds rythmiques. Le piano en version chorus joue dans le même élan. Les blocs d’accords façon Mc Coy Tyner, apportent un supplément de dynamique. Certains thèmes propres fleurent bon le chant. Pourtant à l’évidence la voix de la chanteuse souffre d’un manque de présence. À posteriori on apprendra qu’il s’agissait pour le vocal d’un remplacement de dernière minute concocté à Madrid. Dont acte.
Comme Daahoud Salim précédemment Berta Moreno tient un discours revendicatif, chez elle axé dans le droit fil de la défense de « l’ Afrique où j’ai vécu, travaillé au milieu de ces peuples tellement ouverts, attachants » Cette inspiration se retrouve posée en modèle dans les compositions originales. Le final se fera pourtant sur un tout autre écho né celui là de l’autre côté de l’Atlantique sud, un calypso. Hommage à un ténor du ténor…le sieur Rollins peut être ? Bingo ! « Je ne l’ai pas avoué sur scène, mais Sonny Rollins est bien mon idole… »
Ernán López-Nussa (p), Janet Rodríguez Pino (vibra), Oliver Valdés Rey (dm), Héctor M. Quintana Ferreiro (g), Samuel E. Burgos Martínez (b)
Son quintet sonne jazz, point barre. Sur le morceau introductif l’écriture tourne autour d’une
combinaison « classique » du genre, soit piano-vibraphone-guitare ancrés autour de la rythmique. De fait les solos enchaînés empruntent le circuit musical qui va avec. Sauf qu’il ne faudra pas trop attendre pour tomber sur un passage…pur mambo. Le vrai décor est planté désormais. Le petit pic d’originalité tient à la déclaration d’amour du pianiste -oncle de Harold Lopez Nussa- pour le « jazz époque cool » Original donc que ce volet ouvert sur un moment de « Cuban jazz cool » occasion par exemple d’un solo imagé du guitariste … cool lui aussi. Et puis retour aux sources et ressources de son île natale : vient un thème mi-rumba mi-tcha tcha avec développement surprise côté lames de métal du vibraphone. Ernan Lopez Nussa se lance alors dans un solo de piano typique aux vapeurs on ne peut plus cubaines. Cocktail sucré apprécié illico du public local, évidemment. Sans surpris mais…voilà bien du cousu main cubain.
Robert Latxague