Un nouveau trio est né : Arcus
Jacky Molard (violon), Pauline Willerval (gadulka) et Bruno Ducret (violoncelle) donnaient hier Aux Anges de Quelven (Morbihan) le premier concert public d’un nouveau trio “à archets”, Arcus.
« Allo, c’est Jean-Marie ?Tu peux me réserver quatre couverts pour ce soir. » Jean-Marie, taulier-cuistot du bistro-café-concert, fier, ému, ravi : « T’as vu ce que j’ai ce soir ? » Au menu, le plat des amis du jeudi, régal hebdomadaire, ce soir : Tartare de bœuf façon Big Jim ou de saumon, groseille, concombre et pommes. « Mais tu as vu cette affiche ? Jacky Molard, Pauline Willerval et Bruno Ducret… » Il en a les larmes aux yeux.
Leur trio Arcus, c’est une nouvelle manifestation de ce que j’avais appelé “la République des cordes” à propos d’une édition consacrée aux cordes de la Kreiz Breizh Akademi d’Erik Marchand, expression peut-être inconsciemment inspirée de cette “confrérie du souffle” qu’avait imaginée au tournant des années 1970 Chris McGregor avec sa Brotherhood of Breath. Une utopie où viendrait s’exprimer cette espèce d’ADN qu’ont en commun les musiques à cordes frottées, du fiddle irlandais au sarangi d’Inde du nord, en passant par l’hardingfele norvégien et la grande tradition du quatuor à cordes telle qu’elle a émergé des âges du rebec moyenâgeux et des violes de la Renaissance à l’ère des luthiers de Cremone tel que le firent s’exhaler les compositeurs de Haydn à Ligetti. Soit une alchimie dynamique de la rudesse et de la douceur, de la saturation et de la pureté, de la fusion des timbres et de la polyphonie. Et une certaine idée de la démocratie qu’ont en commun, avec des objectifs radicalement différents le quatuor classique et le quintette de jazz, différences que les générations apparues sur la scène du jazz et dans ses environs depuis les années 1960 tendent à abolir en érodant les frontières entre les fonctions de compositeur et d’improvisateur.
Si l’on prend les héritages et les compétences respectives (inventaire non exhaustif) de Bruno Ducret (rock metal, musiques savantes occidentales du baroque au contemporain, jazz et improvisation, etc.), Pauline Willerval (violoncelle classique, musique bulgare, blues, progressive rock, chanson française, etc.), Jacky Molard (musiques bretonnes, irlandaises, écossaises, balkaniques et indiennes, jazz improvisé), si l’on considère leur trio comme un lieu de rencontre où chacun ouvre, explore et présente son panier, prend le temps d’examiner la façon d’en rapprocher et combiner les ingrédients, sans association contre nature, sans excès de sucre ni graisse superflue, en s’interdisant les facilités, le bois, la corde, l’archet et la pulpe des doigts évitant toute prise de pouvoir d’un instruments sur les autres loin de la médiocre stéréophonie des musiques amplifiées, dans une vraie proximité du son, voilà bien réalisée notre utopie.
Nulle partition autre qu’en tête, nul barbelé entre la précision de l’écrit et le lâcher prise de l’improvisation, le tout emporté d’un même élan dans une lumineuse répartition des voix de la cohésion homophonique au partenariat polyphonique, le goût de la limpidité mélodique et de la stimulation rythmique n’interdisant pas l’abstraction harmonique ou timbrale. Les arômes balkaniques dominent les propositions thématiques de Jacky Molard et Pauline Willeval, ainsi que celle empruntée au regretté violoniste Fañch Landreau (1961-2021). Les reprises de la harpiste Kristen Noguès (1952-2007) nous font aborder des contrées inconnues où s’aventurera peut-être un peut-être un peu plus loin ce trio qui n’en était hier qu’à ses premiers pas devant le public qui se pressait inconfortablement et néanmoins émerveillé dans la petite salle attenante des Anges que l’on vit traversée subrepticement par le taulier-cuistot mimant un joueur de maracas avec les deux œufs qu’il ramenait de ses réserves et qui manquait pour parfaire les merveilles qu’il élaborait pendant ce temps en cuisine. Franck Bergerot (photos © X. Deher).
Pauline Willerval qui nous avait ravi l’an dernier à Malguénac au violoncelle et à la gadulka en duo avec le banjoïste-guitariste Jack Titley sur le répertoire de Skip James, et avec le groupe, hélas défunt, La Nose, reprendra avec le même Jack Titley, le répertoire de Brigitte Fontaine, ce samedi 13 août à 17h30 dans le cadre du festival Les Lieux Mouvants à Ploërdut, carrière gallo-romaine de Locuon.
Ceux qui résident dans les Côtes d’Armor iront écouter le même soir le duo de flûtes Jean-Mathias Petri / Jean-Michel Veillon ce même 13 août à 18h30 à L’Improbable, café-concert du Manoir de Porjou à Pleslin-les-Grèves. À leur programme, Béla Bartók, Gérard Delahaye et Kristen Nogues, entre autres.