Paul Lay à la Scala: Rappels, rappels, rappels…
Hier 29 septembre, à la Scala de Paris, Paul Lay, Isabel Sörling et Simon Tailleu reprenaient le programme Vagabonds qu’ils ont créé à la dernière Folle Journée de Nantes, en hommage à la figure du Wanderer chère à Franz Schubert.
Le voyageur, le vagabond, l’errant, le hobo, les clochards célestes de Sur la route. Le pianiste Paul Lay et ses compagnons de route font danser les références sous les projecteurs. Depuis la création de ce trio avec la chanteuse suédoise Isabel Sörling et le contrebassiste Simon Tailleu, tous trois n’ont cessé leur vagabondage, parti d’un lieu d’ancrage, Marseille où leur fut commandé en 2013 une évocation de l’Alcazar, ce théâtre marseillais, temple de la chanson populaire, et son redoutable public, dont on aime raconter que lors de la première tournée française de Louis Armstrong, le voyant quitter sa trompette pour chanter de sa voix rocailleuse un mouchoir à la main, un spectateur l’interpela d’un tonitruant : « Lorsqu’on est enrhumé, on ne chante pas ! »
Déjà, le répertoire de l’Alcazar était une invitation au voyage et le trio a rapidement rompu les amarres pour voguer Outre-Atlantique, en de continuels allers-retours. Voyage fluvial ou maritime, courant, dérive, de la mer baltique au Mississippi, le trio glisse d’un monde à l’autre, flotte entre deux, comme la voix liquide d’Isabel Sörling d’un registre à l’autre, qui s’évanouit un instant pour mieux rugir ou mieux murmurer, de haut en bas de sa tessiture. Il y a quelque chose de Bill Frisell dans cette manière de chanter et d’habiter l’orchestre, et l’on y pense d’autant plus aisément, qu’elle a posé sur une petite table, comme le guitariste à ses pieds, tout un rack de pédales d’effets, dont elle use d’ailleurs avec parcimonie, pour ajouter ici un peu de carmin, là un peu de turquoise, voire un rayon de lune lorsque Paul Lay évoque le Meeres Stille de Schubert sur un poème de Goethe en clôture d’un concert qui s’est ouvert avec le Chant du cygne.
Entre temps, ils nous auront transportés des pâturages suédois aux collines bleues du Kentucky, puis auront arpenté l’Americana telle qu’elle s’est chantée de Nashville aux campus universitaires ou aux cabarets du Greenwich Village des années 1950-60, ou de la Nouvelle-Orléans à Memphis, sur les rives d’un bleu plus afro, embrasé ici ou là des feux du gospel et de la soul, remontant même le Missouri de St. Louis à Sedalia et son Maple Leaf Club où Scott Joplin composa le fameux Mapple Leaf Rag que Paul Lay fait exploser sous un milliard de doigts précipités sur le clavier, explosant par la même occasion la référence à Keith Jarrett qui le précéda – et l’on ne peut pas l’oublier en écoutant Lay – sur les routes qui conduisent de l’Amérique à la Scandinavie.
Tout ceci serait impossible sans Simon Tailleu qui tient la barre d’une contrebasse extraordinairement souple et puissante. Rappels, rappels, rappels… ils ne se font pas prier dans l’intimité du merveilleux petit amphithéâtre de la Piccola Scala dont la sonorisation mériterait d’être étudiée de près (surtout pas pour la puissance, mais pour un équilibrage des sources mieux réparties). Dernier rappel… il faut bien finir. Et d’ailleurs, ça n’est pas fini puisque Paul Lay sera de retour le 18 novembre en solo, puis le 8 décembre pour un hommage à Bill Evans en compagnie du contrebassiste Clemens Van der Feen et du batteur Dré Pallemaerts pour la sortie d’un nouvel album “Blue in Green” enregistré en février dernier dans cette même salle. Franck Bergerot