Festival Jazzdor De l’art (polymorphe) du trio…
Après une série de concerts “de prestige” donnés dans la grande salle de la Cité de la Musique et de la Danse (parmi lesquels une sublime version de l’opéra de chambre de Marc Ducret “Lady M”, littéralement hantée…) puis une incursion d’un soir du côté de La Filature de Mulhouse pour la création de la pièce “Newborn” de Roberto Negro avec l’Ensemble Intercontemporain — le festival Jazzdor poursuivait ce mardi soir son programme aussi éclectique et audacieux que remarquable d’équilibre dans l’ambiance chaleureuse et familière du Fossé des Treize, particulièrement propice aux musiques improvisées à la fois intimistes et aventureuses dont il s’est fait une spécialité.
C’est au trio funambulesque constitué par Samuel Ber à la batterie, Jozef Dumoulin aux claviers, et Tony Malaby au saxophone ténor, que revenait l’honneur de lancer la soirée. A partir d’un répertoire entièrement renouvelé dont visiblement les trois musiciens découvraient encore les méandres formels et les potentialités expressives au fil de leurs improvisations, cette petite formation étonnante de cohésion organique a offert une prestation remarquable de fragilité et d’assurance mêlées. Constamment sur le fil du rasoir, fondant son discours véritablement collectif sur un équilibre toujours remis en jeu entre des dispositifs compositionnels d’une précision diabolique et un principe d’interaction généralisée relevant de l’improvisation libre et ouvrant sans cesse de nouvelles perspectives, le trio a embarqué l’auditoire dans une musique sinueuse, labyrinthique, toute en poly-vitesses enchâssées et flux de matières sonores, plus ou moins fluides au gré des séquences. Portée par la batterie savamment déconstructiviste de Samuel Ber, nourrie par les sonorités dadaïstes des claviers de Jozef Dumoulin et transfigurée par le chant lyrique du saxophone ténor de Tony Malaby, la musique sous tension de ce trio, à la fois déroutante dans ses développements et remarquable de contrôle instantané des énergies et des dynamiques, figure incontestablement parmi les plus passionnantes qu’on puisse entendre actuellement dans le champ du jazz contemporain expérimental.
Jouant définitivement moins sur la tension et la confusion (comme son prédécesseur) que sur l’articulation finement ciselée entre partie écrite et improvisation, le tout nouveau trio totalement acoustique imaginé par le tromboniste suisse Samuel Blaser en compagnie du contrebassiste Bruno Chevillon et du violoncelliste Vincent Courtois avait pour sa part entrepris dans un contexte “chambriste” revendiqué et à partir d’un répertoire entièrement original, d’explorer le registre de la voix, commun aux trois instruments. Chacun des trois musiciens mettant la somptuosité de sa sonorité et la plasticité de son phrasé au service de pièces finement dessinées tant au niveau mélodique qu’harmonique et rythmique, la musique put paraître par endroits encore parfois un peu timide et appliquée, comme si dans un souci de clarté et de précision la Forme l’emportait sur l’interaction et la libération des énergies. Mais les plages d’improvisations, nombreuses, au cours desquelles Blaser, Courtois et Chevillon jouèrent avec brio sur la richesse et la complémentarité de leurs timbres dans des alliages de textures sonores d’une grande subtilité prouvent à qui en doutait les immenses potentialités dont cette nouvelle association est porteuse.
Stéphane Ollivier