Le Rocher de Palmer : Emile Parisien, les richesses de Louise
Emile Parisien (ss), Théo Croker (tp) Gabriel Gosse (g), Roberto Negro (p), Joe Martin (b), Nasheet Waits (dm)
Le Rocher de Palmer, Cenon (33150), 19 novembre
Louise, titre éponyme de son dernier album chez ACT signe l’entrée du concert ainsi qu’il ouvre celui du disque. Comme s’il convenait de marquer une griffe les «tutti» de la trompette tapent déjà fort dans les aiguës, façon un peu dans ce même registre, les pointes du Miles de l’époque «électrique». Vient en continuum un second thème lancé en simultané à quatre voix parallèles : «Jojo» terme affectueux en dédicace à Joachim Khun dégage des structures de construction anguleuses. Avant de laisser place à un incendie de notes brûlantes alimenté par les forces conjuguées de Croker encore et toujours et des coups frappés de Waits, caisses plus cymbales sollicitées à feu continu.
On l’entend, on le voit: la musique générée sous un doux prénom révèle un besoin de surface d’exposition. Elle se nourrit d’un espace à développer, d’une amplitude à gagner question dimension ou volume. Ainsi progresse «Mémento» suite en trois phases créée s’il faut en croire son auteur «pour honorer ma maman» Le son file tout en douceur et retenue au long de sinusoïdes, de lignes en figures cursives. On se trouve bien au cœur de l’art d’Emile Parisien sur son instrument unique. Chaque note sort du soprano comme en une pensée transposée dans l’urgence. À ses côtés, Roberto Negro, lui, complice de longue date, en complément ou opposition de phases, ce qu’il kiffe avant tout c’est trifouiller, explorer au plus profond dans le ventre du piano. Puis sans transition le voilà qui se lance dans une cavalcade effrénée où tout se joue en désordre sur le clavier au bout des doigts, en jets des paumes, coudes, avant bras moulinés en bris, en bruits de notes. Au bout d’un répit s’impose enfin dans une soudaine pétole un saisissant passage de notes claires, isolées les une des autres, réverbérées semble-t-il quant au son d’un piano revenu á sa vocation première. Negro, un pianiste inclassable.
Vient se greffer alors dans le contenu musical global de l’orchestre un solo de guitare aérien incrusté d’effets d’écho, façon son nordique typé ECM depuis Terje Rypdal. Intéressant. Le premier chorus signé en début de concert par Gabriel Gosse, jeune guitariste, avait pourtant paru un peu en mode étude de cas guitaristique appliqué. Remplacer Manu Codjia, sa patte, sa pratique, son expérience n’est il est vrai pas chose aisée pour un un jeune musicien. Expérience à suivre suite à cette première.
Le jazz d’Emile Parisien, quelle que soit sa dimension orchestrale ne manque jamais de relief non plus. On aura pu noter ainsi au Rocher ce passage court marqué de traits de fulgurances sax/trompette apte à rappeller les formules flash d’Ornette Coleman. Joe Martin, lui, en appui constant dans la rythmique où dans les interventions en solo de sa basse influe, pèse sur la structure des morceaux. Et quelle leçon de batterie donne au long cours Nasheet Waits ! Un élan permanent, une sonorité riche de couleurs, un curseur d’intensité percussive toujours donnée sur le bon trait (Madagascar)
Fruit de l’expérience, acte de maturité, Émile Parisien, c’est net laisse maintenant à ses musiciens davantage d’espace que auparavant. Il utilise pour son compte sur son instrument ses longs traits, ses saccades, ses déboulés habituels, sa veine prolixe, mais moins concentrés, répétés.
En rappel réclamé à voix forte par le public bordelais que l’on aurait pensé venir plus nombreux, «Prayer for peace » composition séduisante de Théo Croker offre au au collectif un bonus de son naturel en phrases d’un abord toutes de simplicité avec un duo trompette/sax alors mis en avant pour la cause.
Ainsi le concert se clôt-il en decrescendo sur un silence très parlant. Signifiant.
Robert Latxague