Jazz du Gers: Tournan Jump pour Lafitte et Coleman
Une école peut en cacher une autre. Suite à la fermeture de celle de ce petit village gersois le Conseil Municipal a fait aboutir dans de même établissement le projet d’une Ecole des Arts. Transformé, travaillé sur le plan acoustique, les locaux et le préau en particulier, ont donné naissance à un auditorium en bonne et due forme. Une salle de spectacle que lés édiles sous la main ferme du maire Jean-Luc Mimouni destinent également depuis 2017 à l’accueil de cours de peinture et de chant. Pourtant régulièrement c’est bien la musique qui s’y trouve mise en valeur chaque saison neuf mois durant, le jazz en particulier. Deux concerts par mois figurent donc au programme. En bonus vacances: une scène ouverte en live et en plein air aux musiciens chaque semaine en juillet-aout. Des concerts donnés en mode club avec boissons et même repas de qualité, cuisine gasconne oblige.
Laurent Rieu tp, bu) Paul Chéron (ts), Cédric Chauveau (p), Jean-Luc Puig (b), Guillaume Nouaux (dm)
Hommage à Guy Lafitte et Bill Coleman
Auditorium Guy Lafitte, Tournan (32420), 19 décembre
Les deux noms inscrits sur l’affiche du soir disent déjà tout ou presque du moment d’histoire et de la nature du jazz offert aux spectateurs. Les thèmes abordés, la façon de les jouer, la coloration et les accents donnés par chaque musicien à ce tableau de jazz mainstream ne peuvent souffrir d’aucune surprise. Sauf celle de la qualité de la musique interprétée. Ainsi en va-t-il naturellement du Perdido, thème fétiche de Lafitte « morceau d’entrée préféré également de Bill Coleman pour entamer ses concerts » précise Paul Chéron en mode de justification avant de livrer sur l’exposé du dit thème comme sur le chorus un bon gros son de ténor façon, par exemple, Paul Gonsalves.
Justement, dans un tel décor musical ainsi daté, les icônes du genre se trouvent-ils imparablement convoqués. Count Basie d’abord à l’occasion d’un morceau signé Dicky Wells l’un des trombonistes fidèles à son orchestre, occasion pour Laurent Rieu d’un chorus de trompette marqué d’une accroche prononcée très « tradition » dans les aiguës, objet d’un swing collectif «impec» quand le piano cultive à dessein les passages d’accords.
On retrouve le pianiste justement, Cédric Chauveau, histoire d’illustrer un «Blue Lou», standard issu des partitions du New York des années trente en une séquence pur rag time sculptée des figures rythmiques caractéristiques de Guillaume Nouaux, avec solo en bonus. Lequel solo de batterie, dans sa version démonstrative, déclenche toujours bien entendu sa volée d’applaudissements enthousiastes. Duke Ellington apparaît lui aussi en ombre chinoise derrière le rideau d’une version de «It don’t mean a thing (if it ain’t got that swing) » aux dessins très fidèlement reproduits. «She’s funny that way» encore, porte «une jolie mélodie qu’aimaient particulièrement Bill et Guy» raconte le saxophoniste co-leader du quintet, avant de trimballer sur son instrument une référence revenant comme une obligée en ombre portée version claquement d’anches ou prolongement de souffle, ornementations que n’auraient reniées ni Guy Lafitte ni surtout Coleman Hawkins.
Ambiance cool, proximité avec les musiciens : ici on pourrait se croire dans un club de jazz. La musique sonne en fidélité au genre pointé dans l’énoncé de l’affiche. Pas de contretemps possible: on voyage bien ce soir de décembre frisquet dans cette part d’histoire du jazz célébrée en nom de ses deux «héraults». Lesquels après avoir été accueillis ici un temps de leur existence, une fois disparus furent tout deux mis en terre dans ce sol gersois qui aura vu pousser à leur suite, dans leur sillon musical réactualisé, une scène locale devenue aujourd’hui un des plus grands festivals de jazz du vieux continent.
Et s’il fallait retrouver une trace, une seule, celle de la vie quotidienne tranquille passée hors jazz dans le village où se trouvent la maison et la sépulture de Guy Lafitte, gentleman saxophoniste, «Teemo», une de ses compositions portant le nom de son chien révélait dans la ligne mélodique d’une balade très classique un aspect intime de tonalité très cool. À l’inverse, jazz de contrastes teinté on le sait de blanc comme de noir, «Crazy rythm» propulsait un ténor en souffle caliente, attisé très chaud au long d’une suite d’articulations de notes toutes bien mises en relief.
On allait l’oublier, mais au beau milieu de ce courant de notes «jazz classique», surgit un moment donné, surprise surprise ! une composition de Dizzy Gillespie judicieusement intitulée «Tour de force». Mais que l’on se rassure tout de suite: cet objet intrus be-bop bien identifié sonnait là in fine juste quelques minutes en harmonies et formes douces. Pas de plat façon cuisine nouvelle ou exotique épicé de trop, en cette nuit à la table de célébration d’un jazz strictement gersois. La preuve ? Après minuit, fut servi en récompense aux musiciens, bénévoles et invités du jour…une pure garbure. Classique, soupe et légumes mijotés avec amour et renforcés de cuisses et saveurs de confit de canard. Bref, goûteuse, exquise au palais ! À n’en pas douter, Guy «l’enfant du pays» et son pote Bill, « l’amerloque» auraient apprécié l’ensemble du menu.
Robert Latxague