Le Kami Octet au travail
Pascal Charrier célébrait vendredi 6 janvier le dernier opus du Kami Octet, Workers .
Kami Octet, Pascal Charrier (compositions, guitare), Leïla Soldevila (contrebasse), Nicolas Pointard (batterie), Paul Wacrenier (piano), Emilie Lesbros (voix) Yann Lecollaire (clarinette basse), Simon Girard (trombone), Julien Soro (sax alto), le Pan Piper, 6 janvier 2023
Pascal Charrier est une voix décidément singulière parmi la génération des compositeurs français de la génération des 30-40 ans. Singulier car il se révèle inspiré (et aspiré) par les problématiques sociales et les luttes de la cité. Mais en même temps attiré par les grands espaces, qu’il contemple assis sur un rocher en mâchouillant une gentiane jaune. Ces postulations contrastées donnent une saveur particulière à sa musique. Son dernier opus, Workers, se veut résolument ancré dans le quotidien de ceux qui travaillent, dans leurs luttes et dans leurs rêves : Strike (la grêve), le bal du Dimanche, la mémoire des vaincus: les titres de l’album sont parlants. Cela se traduit par une énergie bouillonnante, maîtrisée, et joyeuse. Dans Strike, par exemple, qui commence dans une ambiance cacophonique, presque babélienne, on croirait entendre la version instrumentale d’une assemblée générale avec ses discussions houleuses. La tension monte, avec une guitare qui fait des étincelles, et un piano chauffé à blanc : celui de Paul Wacrenier, chaotique, habité, tandis que le batteur Nicolas Pointard verse de l’huile sur le feu. Ensuite, un très beau moment quand la chanteuse Emilie Lesbros restitue le rythme haletant d’une vie d’ouvrier dans une usine (« Time never stops, morning, afternoon, never stop ») avec les slaps de Yann Lecollaire qui matérialisent ce sentiment d’être poursuivi par le temps. Emilie Lesbros passe le relais aux deux cuivres, Julien Soro et Simon Girard, qui entrent en combustion immédiate. On sait connaît depuis longtemps l’intensité de Soro (au ténor ou à l’alto). Pascal Charrier, en l’associant à Simon Girard a eu une belle idée. Le trombone possède une passion et une puissance comparables à celle du saxophoniste. Leur attelage (magnifiques 4/4…) crache le feu.
Mais à d’autres moments, la veine contemplative de Pascal Charrier prend le dessus. Par exemple dans L’enfant, avec cette belle ligne mélodique traversée de fêlures et de frottements, au bord du vertige de la dissonance, à laquelle la voix d’Emilie Lesbros donne une sensualité particulière. Pascal Charrier, évidemment, n’est pas le premier ni le seul à user d’une voix en filigrane dans les tutti instrumentaux (récemment, on l’a entendu dans le grand orchestre d’Ellinoa) mais il le fait d’une main sûre, sans jamais noyer la voix de sa chanteuse dans la masse sonore.
Toujours dans L’enfant, cette belle ligne mélodique est suivie d’un étonnant passage de nudité sonore, traversé de frémissements, d’éclosions, d’éclats, où les slaps de Yan Lecollaire à la clarinette basse font merveille. On est dans une église. Ou en pleine nature. Tout se met en place dans une sorte de ralenti hypnotique.
Pascal Charrier a l’art de construire des suites, des narrations étoffées où un petit filet d’eau devient une impétueuse rivière. Mais il sait s’exprimer sur des formats plus modestes et plus intimistes. C’est ainsi qu’il termine le concert par une merveille que je ne cesse de réécouter depuis, L’espoir. C’est une chanson, avec la voix d’Emilie Lesbros dans la ligne mélodique. Une ivresse tendre, qui n’est pas celle de la boisson mais de la fraternité, nimbe ce magnifique morceau.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins et peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com)