THIBAULT WALTER Trio à la Péniche Demoiselle
Un saut à la Péniche Demoiselle, sur le canal de l’Ourcq, près du Parc de La Villette, pour écouter ‘sur le vif’ un trio dont le disque «Le seul snob» (Élément / Inouïe distribution), publié fin 2021, m’avait intrigué et séduit
Quelques bonnes raisons à cela : une instrumentation inusitée : le piano est un piano électro-acoustique, avec de vraies cordes, amplifié, qui fit le bonheur du jazz (fusion ou pas), et du rock progressif dans les années 70 & 80 ; la contrebasse est bien de celles que l’on trouve dans les trios de jazz de stricte obédience ; mais la batterie est remplacée par le zarb
THIBAULT WALTER Trio
Thibault Walter (piano électro-acoustique préparé), Jean-Luc Ponthieux (contrebasse), Pablo Cueco (zarb)
Paris, La Péniche Demoiselle, 9 février 2023, 21h
Trio très singulier, et musique qui l’est tout autant : le piano Yamaha CP 70 est utilisé avec des préparations (pinces, objets divers, percussions sur les cordes avec une petite mailloche) mais bien sûr aussi et surtout avec son clavier. Pas d’effets électroniques ou numériques, rien que l’amplification qu’impose l’instrument électro-acoustique. La musique fonctionne sur des éléments thématiques, harmoniques et rythmiques qui sont autant de tremplins à l’expression collective, et s’il y a des moments de solo, quand l’un ou l’autre prend un essor individuel, la partie se joue en permanence à trois, sur le matériau écrit comme dans l’improvisation. Des sonorités inattendues dans un contexte de ‘trio de jazz’, des éléments de timbre et de dynamique peu usités dans ce cadre, font qu’on est en permanence attiré vers une sorte d’ailleurs, un ailleurs familier car la contrebasse pourvoit à un semblant de ‘réalisme sonore’ propre à rassurer l’amateur (y compris le vieux chroniqueur que je suis, et qui en a vu -et entendu- d’autres). Il se passe en permanence une foule de micro-événements qui transportent le déroulement musical sur un autre terrain que celui du canonique ‘trio de jazz’. Je suis très captivé par ce qui se passe d’un thème à l’autre, et je me fais la réflexion suivante : depuis plus de vingt ans une foule de découvreurs enthousiastes et pas toujours très lucides nous ‘vendent’ certains trios comme renouvelant radicalement l’art de cette formation abondamment codifiée par l’histoire. Et défilent à mes oreilles souvent indifférentes, et vite lassées, des machines à groove sans âme dont le frénésie paraît être le seul projet esthétique et l’unique compétence. Aussi ai-je la sensation ce soir d’être privilégié, en cet instant où bien des événements musicaux souvent inouïs s’offrent à mon ouïe. Le déroulement est volontiers labyrinthique, le zarb s’envole dans des polyrythmies que mon écoute béotienne peine a suivre -mais je suis transporté- , le piano sonne volontiers dans un registre, un timbre ou une harmonie que l’on n’attendait pas, et la contrebasse fait mine de nous rappeler l’orthodoxie de l’idiome, mais avec une pointe d’ironie : un régal. Comme la musique, les titres des morceaux procèdent d’une forme d’humour que l’on pourrait dire aussi pataphysique qu’oulipien (les attaches familiales du percussionniste y sont peut-être pour quelque chose….). Il faut décrypter les anagrammes pour retrouver le blues en sol, le message en morse ou le glissando arpégé. Mais je reste sec pour le Test ORL quantique. Pour conclure, afin que nous ne partions pas fâchés (nous a dit le pianiste – mais nous n’étions pas fâchés), le trio a joué India de Coltrane. Très belle soirée de musique, et mieux, d’intelligence musicale. Et quoi qu’en disent ceux qui militeraient volontiers pour une sorte de primarité : l’intelligence dans la musique, associée aux sensations et à l’expressivité, y’a qu’ça d’vrai ! Les programmateurs et autres festivalocrates feraient bien de tendre l’oreille vers ce trio.
Xavier Prévost