MICAH THOMAS, en solo, à l’Écuje
Une occasion qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte : le premier concert en France, sous son nom, et de surcroît en solo, d’un pianiste qui m’avait vraiment impressionné, en concert, dans le groupe d’Immanuel Wilkins, impression confirmée par le disque en solo publié après l’été sous le label LP-345 Records (CHOC Jazz Magazine en octobre 2022, Grand Prix Jazz de l’Académie Charles Cros en décembre)
Un disque consacré à des standards de Broadway, et des standards du jazz, totalement renouvelés, dans un climat de sérénité créative
MICAH TOMAS, piano solo
Paris,l’Écuje, 8 mars 2023, 20h30
Autant le dire d’entrée de jeu, le concert ne réplique pas le disque. Mais il respire le même esprit de liberté, porté à son paroxysme dès le premier set, lequel se joue sans discontinuer, dans un flot de propositions et d’inspirations diverses, de citations qui balaient d’un geste érudit et amoureusement transgressif toute l’histoire du jazz. Le pianiste commence au degré le pus intime de la dynamique, pianississimo, pour mieux nous faire captifs de ce qu’il va nous offrir. Et l’intensité va croissant. On croit reconnaître la structure de All The Things You Are, balayée en tempête par des langages qui mêleraient Cecil Taylor et Ligeti, si tant est qu’un tel raccourci ait un sens. En cours de route, Micah Thomas va aussi passer par un stride vertigineux. De son piano il fait naître une sorte de dialogue des sonorités, une espèce de joute entre les deux registres (basse et bas médium d’un côté, haut médium et aigu de l’autre), superposition de couleurs, avec une admirable indépendance des mains, et une science des pédales d’expression et du toucher qui élargissent sans cesse le spectre. Inventivité, spontanéité : le bonheur est total. À l’issue de cette vertigineuse suite offerte d’un seul tenant, le pianiste prend le micro et, très sobrement, annonce la pause.
Après l’entracte s’offre un déroulement différent, thème par thème. Mais sans reprendre systématiquement le répertoire du disque publié (il paraît que la séance comporte encore une foule d’inédits….), loin s’en faut : on aura bien une évocation de The Way You Look Tonight qui ouvrait l’album, mais ici la version est carrément déjantée. Et puis la musique butine à toutes les sources : souvenir de Parker, de Monk, mais aussi Danny Boy, et plus loin une mélodie de comédie musicale presque au premier degré, et en rappel un sorte d’hymne religieux où se mêlent les cultures anglo-saxonnes et afro-américaines. Bref l’un de ces mélanges programmatiques qui sont l’intime secret du jazz, et qui ont subjugué le public présent (beaucoup de musiciens, des pianistes notamment, venus avec la soif de la découverte). Formidable moment de musique !
Xavier Prévost
Le concert devait être enregistré par France Musique pour l’émission ‘Jazz Club’, mais la grève en a décidé autrement. Cela dit, au lendemain, du concert, Micah Thomas est direct l’invité de l’émission ‘Open Jazz’ : réécoute en suivant ce lien