The Players (Soro-Caracci-Tessier), un trio en quête de liberté
Le trio de Julien Soro, The Players célébrait la sortie de son dernier disque au 360. Samedi 18 mars 2023, le 360, rue Myrrha 75018 Paris. Julien Soro (ténor, alto, soprano, machines) Stefan Caracci (vibraphone, machines), Ariel Tessier (batterie).
Depuis quelques années, je suis les aventures musicales de Julien Soro avec beaucoup d’intérêt, appréciant son jeu, ses prises de risque, sa capacité à se renouveler, et au milieu de tout cela un lyrisme auquel je suis très sensible, car il n’est jamais fade, jamais tiède. On retrouve tout cela dans ce trio avec les incroyables Stefan Caracci (vibraphone, grelots, machines) et Ariel Tessier. Le trio n’est pas neuf, il existe depuis au moins un an. Je l’ai entendu pour la première fois lors d’une soirée organisée par le collectif Pegazz, un des plus créatifs de la scène jazz actuelle. C’était déjà passionnant, mais il me semble qu’en quelques mois le groupe (qui sort d’une tournée de quelques dates) a approfondi sa complicité
Même s’ils explorent de nombreuses voies, une cohérence se dégage, dans la direction générale, et dans la place de chacun. Pour résumer, on a l’impression que ces trois musiciens ont creusé ensemble la notion de liberté. Pas facile d’être libre pour un musicien. Encore plus quand ils sont aussi bons que ces trois là, et qu’ils peuvent potentiellement tout faire. Mais alors c’est le risque d’être ligoté par son savoir-faire. Pour s’en sortir, il faut que l’exigence en matière de liberté s’affine en même temps que la maîtrise. Et c’est ce qui se produit avec ce groupe. Julien Soro le disait lui-même à la fin du concert: « On veut ne pas savoir ce qu’on va jouer à l’avance, et pouvoir jouer des morceaux quand on a envie ».
Musicalement, cela donne une musique pleine de contrastes. Des moments très free, une musique déchaînée qui sait se faire méditative, une musique de terre brûlée par instant mais qui refleurit en mélodies, des violences, des embrasements suivis de silences qui semblent sortir de l’oeuf. Ce qui a changé sans doute aussi dans le groupe c’est que Stefan Caracci a trouvé vraiment sa place. Son intensité est au niveau de celle de Julien Soro, ce qui n’est pas un mince compliment. Il a réussi à donner à son instrument, si angélique par nature, des sonorité acérées et anguleuses. Quant à Ariel Tessier, maître-artificier, il n’a pas eu à trouver sa place puisqu’elle reste ce qu’elle a toujours été : au centre du jeu.
Avant Julien Soro, et ses copains, Delphine Deau, pianiste du groupe Nefertiti, en solo. Elle joue des mélodies de John Dowland, musicien anglais, figure de la musique baroque de la fin XVIe siècle-début XVIIe. Elle joue ces mélodies avec un piano préparé. mais préparé de manière poétique et délicate: avec quelques notes qui font des bruits de jouet d’enfant, ou de caisse enregistreuse. Cela casse la solennité du piano, lui donne un aspect cabossé, qui humanise les belles mélodies de John Dowland et lui permet d’aller vers des territoires inattendus: l’Afrique (son piano, à certains moments, sonne comme un balafon) et le blues: un blues allègre, véhément, joué du fond des tripes, comme si Delphine Deau avait trouvé un passage secret entre la musique baroque et la musique noire. C’est un merveilleux projet musical.
Texte: JF Mondot
Dessins : AC Alvoet (autres dessins, peintures, gravures, à découvrir sur son site www.annie-claire.com)