Catherine Delaunay : la Lune sur un Plateau
Hier, 5 avril, la clarinettiste Catherine Delaunay concluait sa saison à l’Atelier du Plateau avec le violoniste Régis Huby et le trompettiste Fabrice Martinez dans un programme intitulée I Luna.
Catherine Delaunay avait commencé cette saison en novembre avec un important effectif où le texte dit, chanté (voire joué et donné à voir) côtoyait cordes et vents. Le 23 mars dernier, elle s’en tenait au trio avec deux formidables improvisateurs, la tromboniste Christiane Bopp et le violoncelliste Atsushi Sakai. Hier, elle présentait un nouveau trio et de nouvelles combinaisons de timbres avec Régis Huby (violon) et Fabrice Martinez (trompette, bugle) dans un programme monté dans l’après-midi… parcours plus qu’un programme, voyage me souffle ma voisine transportée, la première pièce se voulant cependant plus statique sur l’ostinato du fameux Warm Canto décliné sur le violon électrique ténor de Régis Huby avec des accents pizzicato de violoncelle et un premier solo de trompette que conclura l’entrée de la clarinette, jusque-là muette, et le fameux thème composé par Mal Wadron pour Eric Dolphy, il y a quelques 60 ans.
Le voyage commence vraiment avec un long solo de Régis Huby sur le violon acoustique que viendront bientôt ponctuer discrètement trompette et clarinette. Où l’on retrouve le savoir-faire du co-fondateur du quatuor IXI, ce vocabulaire qui puise dans toute l’histoire de l’instrument et dont il tire des récits d’une logique jamais prise en défaut par leurs caractères impromptus. D’un solo à l’autre, le paysage défile, inédit, insolite, entre douceurs et violences, Fabrice Martinez particulièrement expressionniste de la “plunger” à la sourdine “harmon”, jamais brillant, choyant la chaleur papitante du timbre, des hurlements aigus de la trompette aux extrêmes graves du bugle s’éteignant dans un borborygme. Si elle peut se faire vindicative – à l’image de cet appel à la manif’ du lendemain lancée à l’issue du concert – la clarinettiste joue la carte du roseau et l’ébène, avec ce côté délicatement percussif que peut prendre la colonne d’air lorsque vient s’y poser directement la pulpe du doigt.
Mais au-delà de ces clichés nous évitant une analyse hors de nos compétences, c’est sur cette idée du voyage qu’il faut revenir, et qui conduit d’une partition à l’autre… car il y a des pupitres et un savant désordre de partitions qui se succèdent sans que l’on en prenne totalement conscience, étapes dont les improvisations ont la charge de conduire l’une vers l’autre, sans vraiment le laisser paraître à l’auditeur. Partitions originales proposées lors de cette après-midi de travail, entre lesquelles d’aucuns auront peut-être reconnu la patte de John Zorn (je me le suis laissé dire par les musiciens eux-mêmes) ou Le Voyage de Paul Motian (l’un des chefs d’œuvre du catalogue ECM avec Jean-François Jenny-Clark et Charles Brackeen). Pour dire vrai, je ne l’ai pas reconnu sur le coup, mais j’ai dressé l’oreille à son passage. Car ces thèmes qui guident nos voyageurs fonctionnent comme des saveurs, des parfums, des effluves qui passent et s’évanouissent avant de se laisser identifier mais fixent l’attention de l’auditeur pour mieux l’entrainer sur de nouveaux chemins.
Des auditeurs, il y en aura eu bien eu une vingtaine, ce qui laisse songeur dans une capitale culturelle comme Paris où l’on remplit des Zénith, des Arena et des Palais Omnisports pour une écoute indirecte, lointaine et approximative, même pas stéréophonique. L’Atelier du Plateau porte bien son nom, se définissant comme Centre Dramatique National de Quartier : bien des projets y ont vu le jour et bien des connivences artistiques s’y sont nouées dans l’intimité qui caractérise sa jauge.
En février dernier, on pouvait lire un communiqué co-signé par Grands Formats et Futurs composés, s’inquiétant des logiques industrielles retenues par le Centre national de la musique au mépris de la diversité des modèles économiques. Une tendance du monde culturel touchant tout particulièrement la musique où “L’Esprit d’ouverture” martelé sur France Culture à longueur de journée au nom de la lutte contre l’exclusion culturelle, revient à une exclusion des musiques instrumentales, “excluantes” par excellence, vers le ghetto France Musique (lui-même de plus en plus réfractaire à l’audace et de plus en plus porté sur le concours de bonne humeur), au profit d’un fond sonore chansonnier continu et uniforme, des galeries marchandes aux ondes nationales. Franck Bergerot