Flash Pig, le plus longtemps possible
“Le Plus Longtemps Possible”, c’est le titre de l’album dont ce quartette jouait le programme, hier 22 avril à la Scala de Paris et c’est ce que l’on se souhaitait à leur écoute.
Hier, les voyant s’installer sur scène – Gautier Garrigue (batterie), Florent Nisse (contrebasse), Maxime Sanchez (piano) et Adrien Sanchez (saxophone ténor) – et entendant ce dernier rappeler que Flagh Pig avait 13 ans d’existence, je me reprochais déjà de ne pas les avoir suivis de plus près. Les errances nocturnes du jazz critic répondent à des préférences, des affinités, mais aussi des indifférences, voire des aversions… elles se font aussi au gré des hasards et des disponibilités. J’ai entendu pourtant ces musiciens séparément en de nombreuses occasions, et dans mes années de permanent à Jazz Magazine, j’ai toujours veillé, tant que faire se pouvait, à leur donner quelque visibilité, d’où ma mauvaise conscience de n’avoir pas de souvenir de les avoir entendus sur scène en tant que quartette. Or, en fouillant mes archives, je découvre ce matin que j’avais chroniqué leur premier disque “Main Still” en 2014 avec la mention “Révélation”, et retrouve même la date du 6 novembre 2010. Ce jour-là, dînant avec un ami rue Sainte-Opportune, j’avais convaincu ce dernier de sauter dessert et digestif pour aller écouter de jeunes musiciens qu’il me tardait d’entendre : ça me revient, ce bonheur que j’avais pris à écouter ce groupe tout jeune, tout frais, marcher avec un tel enthousiasme sur ce qui m’avait semblé être les pas du quartette américain de Keith Jarrett.
Hier, les voyant saluer, je m’inquiétais des moyens qui s’offrait à moi de partager mon enthousiasme autrement qu’à travers un énoncé d’influences et d’héritages, constat non d’un quelconque manque de personnalité de Flash Pig, mais de ma propre incompétence critique. Car le plaisir que j’ai pris à leur écoute, c’est probablement qu’ils aient revisité pour moi toute la grandeur du jazz, en une synthèse toute contemporaine et cohérente, sans aucun effet de pastiche ni de morcellement stylistique, de Lee Konitz à Ornette Coleman, de Sonny Rollins à John Coltrane, de Steve Swallow à Jimmy Garrison, d’Elvin Jones à Jack DeJohnette, de Lennie Tristano à Paul Bley, du second quintette de Miles aux quartettes de Jarrett, le tout passé par le filtre des cinquante ans d’histoire passés depuis et d’aventures nouvelles qui leur ont succédé, d’écoutes et de références propres aux générations fin de siècle – qu’Adrien Sanchez, en parfait Monsieur Loyal, invitait le public à identifier… et je dois dire que de Sean Paul (Get Busy) à Lana Del Rey (Video Games), j’ai rendu copie blanche.
Bref, j’ai aimé les ardeurs savantes de ce saxophone, les pudeurs ferventes de ce pianiste, l’économie virtuose de ce bassiste, l’assise de ce batteur aux inventions kaléidoscopiques, la complicité et la cohésion organique qui les rassemble, des émotions les plus fragiles aux échappées les plus tumultueuses. “Le plus longtemps possible”… pourvu que ça dure ! Ils nous ont joué deux morceaux d’un nouvel album promis pour 2024… Mais c’est un secret! Franck Bergerot