Les grands espaces de Papanosh
Le groupe Papanosh célébrait la sortie de son cinquième opus « A very big lunch » par un très beau concert au Studio l’Ermitage.
Raphael Quenehen (sax), Quentin Ghomari (trompette), Sébastien Palis (piano), Thibault Celier (basse), Jeremie Piazza (batterie), Studio l’Ermitage, samedi 6 mai 2023
Le disque « A very big lunch » (Vibrant/Enja/Yellow bird) puise son inspiration dans l’œuvre de Jim Harrison, écrivain, poète, ogre affamé de grands espaces, de pêche, d’écriture et de toutes les nourritures terrestres disponibles sur notre petite planète. Plusieurs des morceaux du disque font explicitement référence à un des romans de l’écrivain américain (Dalva, Wolf, Chien brun…).
Papanosh, composé de musiciens qui n’ont pas quarante ans, existe depuis presque 20 ans. Ce qui veut dire que ces musiciens ont appris, grandi, mûri ensemble. Ils ont construit peu à peu un univers musical qui se distingue par sa vitalité exploratrice. On citera par exemple Home songs, disque avec le poète et saxophoniste new-yorkais Roy Nathanson, ou encore Prévert parade, avec le grand André Minvielle. Au fil des années, au fil des concerts, le groupe s’est distingué par son intensité joyeuse et débridée, sa capacité à faire chalouper le public. Sur Internet on trouvera de nombreux éloges sur la dimension festive du groupe, et ils sont mérités.
Mais Papanosh ne se résume pas à cette dimension festive. Le groupe dispose d’une grande palette de couleurs et de modes de jeux. Oui, ils groovent. Mais ils savent aussi embarquer les auditeurs dans des voyages musicaux aux atmosphères subtiles. C’est ce qui apparaît de manière très claire dans le concert de ce soir. La lecture de Jim Harrison semble avoir stimulé la dimension narrative du groupe, à commencer par l’inspiration du pianiste Sébastien Palis, compositeur de tout le répertoire de ce nouveau disque.
Il est toujours bien difficile de passer d’un art à un autre. Mais la transposition de l’univers de Jim Harrison fonctionne formidablement bien puisque toute cette musique donne une sensation de grands espaces. D’où vient-elle, cette sensation ? Sans doute d’une certaine gestion du silence et de l’espace sonore. Sans doute aussi de la trompette de Quentin Ghomari, avec cette façon majestueuse et lancinante de monter dans les aigus, et d’y accrocher quelques notes tenues à la fois fortes et fragiles. L’effet est encore plus fort quand cette trompette flotte sur le bouillonnement crépitant entretenu par Raphaël Quenehen et le trio Sébastien Palis/Thibault Cellier/ Jeremie Piazza, qui au passage sont une des sections rythmiques les propulsives que j’aie entendues depuis longtemps. Dans ces moments où les quatre musiciens soutiennent le soliste, le portent au plus haut, on sent bien les liens amicaux et humains tissés au fil des années.
Les morceaux suggèrent donc les vastes étendues de l’Amérique, mais aussi ses déchirements , ses contradictions, son âpreté, parfois ses réconciliations. Chaque composition raconte une histoire. Des histoires gaies, tristes, ou troublantes. Comme Grand Maître, un des morceaux les plus intrigants de ce répertoire, avec son ambiance mystérieuse et torturée, cette ligne mélodique au début, qui tombe comme une lumière blême, suivie d’un duo vif et rythmé entre la trompette de Quentin Ghomari et le saxophone de Raphael Quenehen, qui se défient à coup d’interjections musicales, tandis que l’ostinato de Thibault Cellier à la contrebasse, instille une sourde inquiétude. On retrouve une ambiance aussi riche et puissante dans Wolf, avec cette marche irrésistible de Jérémie Piazza qui forme la colonne vertébrale du morceau. Il y a aussi des moments lumineux dans ce répertoire, avec par exemple la ligne mélodique épurée et solaire de Chien brun. Derrière les musiciens, les dessins, collages, peintures de la plasticienne Lison de Ridder illustrent poétiquement le voyage imaginaire où nous embarquent les cinq musiciens de Papanosh.
JF Mondot
(photos couleur Myriam Ghomari)