Pau: Les voix de Youn Sun Nah
Elle a déjà enregistré son prochain album à New York, en duo avec un pianiste. Pourtant au détour d’un brin de conversation entamée en coulissse, au sous sol du Foirail, cette salle de concert flambant neuve et très confort dont l’adjoint à la culture de la ville du bon roi Henri ne cesse de se féliciter à juste titre, Youn Sun Nah livre au passage une confidence « Dans mon job, mon expression de chanteuse ce que je privilégie c’est bien la scène. Je m’y sens à l’aise, comme dans un chez moi. en toute sécurite dans la voix et le regard portés vers le public, juste entre lui et moi, un peu comme lorsque les portes d’une église se referment au début d’une cérémonie… Le disque, je le sens juste comme un point d’étape nécessaire»
Youn Sun Nah (voc, perc), Thomas Naïm (g) Tony Paeleman (p, elp), Brad Christopher Jones (b, elb)
Le Foirail, Pau 6400), 26 mai
Pris dans le grain de sa voix tout de suite on entre de plein pied dans un univers typé. La chanteuse sud coréenne joue sur les climats sonores comme changent les motifs de tableaux de décor dans une pièce de théâtre.Il y a ces résonances électriques qui marquent la plupart des chansons de son dernier album Waking World (Bird on the ground) Ou ce tissage de notes de guitare mixées dans le fond sonore du piano Fender Rhodes. Mais attention ne pas se fier chez elle, stature un peu frèle sous les spots, à une force contenue qui la cadrerait tranquille. Ainsi sur une rythmique country blues elle, dont les mots de présentation au public restent imprégnés d’une douceur timide, sort au besoin une voix de fond de gorge rauque and que rock (Lost Vegas) À l’instant d’évoquer sa mère, parenthèse d’intimité concédée, le récit passe du murmure en illustration d’un extrait de film de sa vie (My Mother) au cri expurgé (I m yours). Youn Sun Nah c’est une voix sans filtre, modelée au pluriel.
Ceci posé il ne sera nullement question ici de nous fâcher avec la confrérie des batteurs. Mais bon, constat vérifié live: un concert sans batterie cela donne un panorama de son different. Surtout lorsque s’installe le primat des instruments harmoniques, lesquels s’ingénient à tisser des rideaux de notes plus colorés les uns que les autres (Waking world). Ce qui au passage distingue chez la chanteuse le travail de production studio de son dernier disque avec sa version livrée en concert. Ainsi dira-t-on d’une belle intro au piano, avec la voix qui vient en fondu enchainé puis d’un solo de guitare en accords bien détachés, telle une élégante frise rythmique (Round and round)
Un concert de YSA se déroule en continuum certes, marque déposée sur scène d’un listing de qualités vocales propres et complémentaires aptes par exemple à pouvoir emprunter une chanson à deux monuments: Prince, ès-qualité (Sometimes it snows in April) ou même Tom Waits (Jockey full of bourbon) Moments en rythme plein qui n’exclue pas le jaillissement de deux pics, deux crêtes originales : le fameux Asturias du compositeur espagnol Albeniz d’abord, offert en démonstration de force, de potentiel question tessiture vocale. Une exposition fort délicate ensuite du standard des standards Killing me softly with this song, en mode contine, seule sur les planches alors, accompagnée d’une petite boîte à musique à ruban percé. Résultat concret : la foule se met illico à chanter le couplet en sa compagnie
Au final on pourra juste regretter qu’il ait fallu attendre une douzaine de morceaux pour entendre enfin un beau chorus de piano acoustique signé Tony Paeleman. À ceci près que le public fidèle aux rendez-vous de Jazz à Pau n’était pas spécifiquement venu à cette intention. Youn Sun Nah paraît bien les avoir bluffés. À elle seule.
Robert Latxague