Vitoria (2) : le coup d’orage d’Immanuel Wilkins
Depuis toujours dans ce festival de Vitoria-Gasteiz les concerts du Teatro Pruncipal implanté pleines rues commerçantes visent à la découverte de musiciens en devenir, issus du pays ou d’ailleurs. Programmés en fin d’après midi à un prix très abordable, diffusant du jazz et musiques voisines dans un bon confort d’écoute, ils drainent un public plus jeune, plutôt disponible, ouvert à la nouveauté.
Samira Penderhugues (voc, p), Joshua Cramby (elb, voc), Nio Levon, Dani Lurcia, Jehbread Muhammad Jackson (voc)
Theatro Principal Antzokia, 6 juillet
Une voix éraillée, une voix de tête tirant vers l’aigue. Un jeu de piano basé sur les accords, en soutien du vocal. Samora Pinderhugues d’orgine indienne, militant de la cause humaniste s’explique avant chaque chanson, justifie son mode de vie, son engagement avec insistance. Sur ses mots, ses refrains répétés comme autant de mantras il pose une musique lancinante, un climat de mélancolie. Pour une chanson honorant les prisonniers de sa communauté il cite l’exemple de chanteuses engagées pour les droits civiques, Mahalia Jackson ou Dinah Washington. Pourtant le timbre de sa voix à lui a plus à voir avec celle de Neil Young voire Bob Dylan imprégné d’intonations un peu nasillardes qui traînent sur les syllabes finales. Le chœur en appui, en une deux ou trois voix résonne plutôt gospel. Un must de mélancolie. Les looks jeunes, le côté prêche cool donne à penser que le preacher et son discours insistant doivent pouvoir ai- sément inspirer les réseaux sociaux.
Brad Meldahau (p), Larry Grenadier (b), Jeff Ballard (dm)
Polideportivo Mendizorrotza , 6 juillet
Dans un de ses albums enregistré en trio, Ode, Brad Meldhau explique qu’il compose souvent en pensant à eux. Alors depuis la dizaine d’années que ils jouent côte à côte Immédiatement la rythmique tourne, bien entendu. Ces deux se connaissent par cœur. Le pianiste iitou, ses thèmes, ses goûts, ses couleurs exposées sur le clavier (il faut voir lorsque vient le premier chorus de basse, Meldhau se tourner vers la rythmique, et depuis son siège les observer). Une cohérence, une solidité qui en font font à destination des festivals de jazz d’été (surtout ) d’automne comme d’hiver (plus rare) le trio de référence dans la planète jazz. Oui mais voilà ,cette fois, en cette soirée de tornade glacée météo le nom n’à pas suffi. Et la grande salle du Palais des Sports avec ses gradins disposés en U face à la scène, ne s’est trouvée remplie qu’à moitié.
Meldhau (qui a son tour, lui ou son agent, allez-savoir, refuse toute photo y compris au moment habituel de la prise des clichés pour la presse le temps du premier titre) toujours concentré sur son clavier dans son attitude habituelle visage tourné de profil possède en propre ce toucher direct et délicat à la fois qui le font reconnaître immédiatement ( Up front)Une fluidité naturelle. Laquelle marque encore en phase solo la conclusion du concert via un exercice magistral main gauche égrenant les notes basses du clavier (From Thais moment on ). Le trio, son exigence, sa dynamique servent à la perfection le Sweet and Lovely de Monk : sur ce tempo médium éclairé du travail des deux mains quand accords à gauche et déroulés à droite travaillent à part égale. Difficile de dire dès lors si le piano s’appuie sur la rythmique ou si l’interaction s’initie en sens inverse. Avant de circuler à circuit ouvert.
Le pianiste qui a repris l’aura de Keith Jarreth auprès des fans depuis le retrait de ce dernier de toute activité musicale au présent, exerce cette façon très personnelle d’entrer à vif dans la mélodie, de la reprendre, la déconstruire, la transformer à petites touches, en subtils décalages d’harmonie telle une frise d’inspiration cubiste. Signant, sacralisent d’autant sa personnalité, sa stature de pianiste de jazz majeur. Y compris à propos d’une balade ( Since I fell you, chanson signée Nina Simone) entamée en mode standard dans une présentation des plus classiques.
Une première quant à sa présence dans les festivals d’été en Europe pour lui aussi. Pour une majorité du public il s’agit d’une découverte également même si une réputation de nouveau talent du sax l’a déjà précédé sur le continent. Une première chose frappe d’entrée: sur les planches le jeune quartet offre de l’énergie à revendre, témoin ce phrasé laser sur l’alto dès le départ départ. Viendra rapidement un changement de ton, mais le décor est posé. Quoiqu’il en soit Wilkins prend grand soin de la mélodie Autre constat, le piano va chercher des extérieurs au discours habituel en quartet, faisant entre les mains de Micah Thomas -autre figure de la nouvelle scène new-yorkaise aux oreilles des aficionados toujours friands de talents émergents dans la grosse pomme- pourvoyeur d’un apport appuyé en matière rythmique. Tercio: se dégage une forte cohésion des quatre éléments, notable dans l’ « interplay » ( échange, connexion )
Le groupe revient à du classique, du plus convenu dans l’exposition quitte à établir un climat sur un plan rythmique unique des modulations autour de la ligne mélodique simple, d’abord, épurée ( Fugitive ritual). Wilkins quasi resté muet de mots de présentation tout le concert durant sait aussi cultiver dans son jeu la retenue, distiller le plaisir immédiat dans le confort de celui/celle qui écoute. La simplicité dans l’abord du contenu s’illustre également versus une certaine tradition des batteurs de jazz perçue dans la manière d’introduire un blues en tempo lent (Shadow! via l’utilisation de balais pour caresser à satiété les caisses de sa batterie . Dans leurs parties développements solo le sax comme le piano gardent cet angle d’attaque bluesy.
On pense n’avoir toujours pas quitté cette, quiétude, cette douceur dans la sonorité. Et puis voilà le piano qui lance l’allure. Le quartet bascule soudain dans une cavalcade effrénée en toute accélération. Les notes s’enchaînent, se multiplient, le débit, le rythme aussi. Total 29 minutes de chorus non stop pour Immanuel Wilkins. Lequel fonctionne en trio à présent laissant le piano muet pour l’instant. Le sax alto, en vibration, en fulgurances de notes serrées passe par tous les états de la colonne d ‘air, de la compression jusqu’à l’explosion, des jets saturée jusque aux suraiguës, de l’incantation de motifs boostés au déchirement du cri (Lift). De quoi faire revivre durant un très long moment aidé au final des acrobaties atonales du piano revenu dans le jeu, les grands écarts, les cataclysmes sonores de la période du free jazz.
Le jeune musicien new yorkais de cette génération émergente ne peut ni avoir déjà « été » ni avoir oublié ce quelque chose qu’il n’a jamais vécu de cette période du jazz. Pourtant assurément il a appris et retenu de ses fondamentaux. Démarche intelligente, essentielle à n’en pas douter pour le devenir proche d’un art vivant tellement minoritaire en son pays.
Robert Latxague