Herbie Hancock et Kurt Elling au Nice Jazz Festival
Le Nice Jazz Festival fête cette année ses trois quarts de siècle ! Depuis sa création en 1948, sa formule a bien changé, sa dernière programmation ayant trouvé un équilibre entre projets propres à satisfaire les jazzfans et ceux à destination d’un public plus large. Rare sont les artistes à même de réunir les deux, comme Herbie Hancock qui donnait à Nice l’unique concert hexagonal de sa tournée estivale.
SUPERBLUE : KURT ELLING & CHARLIE HUNTER
Chaque soirée du Nice Jazz Festival se compose de six concerts répartis sur deux scènes. Cette soirée du 20 juillet avait débuté à 19h30 avec le projet Generation Django, initié par le contrebassiste Edouard Pennes, qui associe des forts en thème manouche à un quatuor à cordes. Arrivé un peu tard pour des raisons techniques, votre rapporteur ne put apprécier que les deux derniers morceaux qui mirent en vedette l’excellent guitariste Sébastien Giniaux, une voix originale alors même qu’il s’inscrit indéniablement dans le sillage de Django.
Il fut en revanche possible d’assister à l’intégralité du concert du groupe co-conçu par Kurt Elling et Charlie Hunter, mais placé sous la direction du vocaliste, son charisme l’imposant de fait dans cette fonction. D’emblée, il initia une énergie bienfaisante, trop heureux – expliqua-t-il au public – de pouvoir revenir sur scène, et notamment en Europe, après les années Covid. Showman qui n’en fait jamais trop (ce qui n’est pas si fréquent), Elling se montra brillant tout au long du concert, utilisant les trois octaves de sa voix toujours à bon escient, sans étalage superficiel, en particulier lors d’une performance profonde sur Lawns, une ballade de Carla Bley. Le reste du répertoire évolua entre jazz, pop et songs, Charlie Hunter proposant quant à lui une prestation en solo gorgée du blues des origines.
Formidable énergie, grooves puissants, sourires aux lèvres, feeling interactif de haut niveau, tout concouru à ravir le public qui fit une standing ovation à Superblue, un succès dû certes aux trois excellents instrumentistes, mais surtout et avant tout à un vocaliste vraiment à part.
Kurt Elling (chant) DJ Harrison (claviers), Charlie Hunter (guitare) Corey Fontville (batterie).
HERBIE HANCOCK
Des quatre concerts de fin de soirée du cru 2023 du Nice Jazz Festival, un seul jazzman eut droit de se produire sur la grande scène de la place Masséna : Herbie Hancock (après Juliette Armanet et Tom Jones les deux soirs précédents, et avant M le lendemain). Plusieurs centaines de personnes, de nationalités très diverses (Anglais, Italiens, États-Uniens, Africains, Européens de l’Est, etc) occupèrent en rangs serrés (et debout) l’intégralité de l’espace mis à disposition aux spectateurs. La prestation d’Hancock ressembla en tous points à celle à laquelle j’avais assistée l’année précédente à Marciac (dont on trouvera un compte-rendu sur ce blog), ses musiciens étant les mêmes à l’exception du batteur, Jaylen Petinaud remplaçant Justin Tyson : début de concert par Overture (une compilation de plusieurs de ses succès), suivi du Footprints de Wayne Shorter arrangé par Terence Blanchard (présenté par Hancock comme un grand compositeur de musiques de film et de télévision, d’une manière semblable à celle de l’année précédente), reprise assez littérale de Actual Proof puis de Come Running To Me (tiré de “Sunlight”). Sur ce dernier titre, Hancock usa de son vocoder en solo et réalisa une transition avec le morceau suivant d’essence africaine. Si à Marciac, le leader s’était contenté d’enchaîner des accords, cette fois il s’amusa à inventer des paroles (« nous formons tous une grande famille, celle de l’Humanité », « j’aime Nice et la France », etc.) en même temps qu’il imaginait des enchaînements d’harmonies au sens propre incroyables : sous la surface quelque peu amusante, une science sans équivalent (appréciée par Terence Blanchard, trahi par ses mimiques) ! Après un Maiden Voyage arrangé de façon à le rendre quasi méconnaissable, au lieu de Cantaloupe Island comme à Marciac, le public niçois eut directement droit à Chameleon, les débats entre les musiciens ayant été plus amples que prévus, Hancock empoignant son clavier à bandoulière pour l’occasion. Fin d’un concert rondement mené.
Et pourtant…
Et pourtant en dépit d’un concert de “routine” pour le groupe, Hancock livra au piano acoustique des solos dont la nature reste sans équivalent. Sans doute tous les claviéristes du monde ont-ils copié le jeu de ce dernier ; or, il continue d’être le seul à réaliser de ces improvisations à double, triple voire quadruple détentes, génératrices d’une extrême tension tout en demeurant immédiatement accessibles. Comparé à Marciac, encore une fois, il m’a semblé qu’Hancock était plus en doigt et mieux inspiré, s’amusant au jeu du chat et de la souris avec son batteur (le chat Hancock mangeant à chaque fois la souris Jaylen Petinaud). Ses performances firent d’autant plus regretter une performance trop puissante (en décibels) de ce jeune batteur et de James Genus (cédant, avec l’ingénieur du son, à la mode du loudness dont il faudrait sonder les raisons d’être dans nos sociétés contemporaines). Quoi qu’il en soit, Hancock aura donc à certains moments comblé ses afficionados, et ravi quasi tout le temps les non-initiés, d’une façon bien dans l’esprit du Nice Jazz Festival.
Ludovic Florin
Herbie Hancock (claviers),Terence Blanchard (trompette, claviers), Lionel Loueke (guitare), James Genus (basse), Jaylen Petinaud (batterie).