D’jazz Nevers 6ème soirée, 20 h: Avishai Cohen Quartet
Hier, dans la grande salle de La Maison (la Maison de la Culture de Nevers), en deuxième partie du solo de Paul Lay pour lequel Xavier Prévos affûte sa plume, se produisait le quartette d’Avishai Cohen, le trompettiste.
Après un premier morceau qui est déjà un chef d’œuvre de construction narrative et de mise en espace des instruments du Quartette – Yonathan Avishai (piano), Barak Mori (contrebasse) et Ziv Ravitz (batterie) – Avishai Cohen (trompette) fait part au public en toute pudeur de son émotion par rapport aux événements qui déchirent sa région, dont sa musique est empreinte ces jours-ci, et des hésitations qu’il a eu sur la nécessité de partir sur les routes de l’Europe ou d’annuler. Finalement, il est là, sans la grande barbe auquel on l’identifiait depuis qu’il s’est imposé sur la scène international, et il poursuivra sa route vers Barcelone (le 17), Madrid (le 18), Paris (La Cigale, le 19) avant d’entrer en studio au Studio La Buissonne pour enregistrer ce nouveau programme, récemment écrit et déjà rodé à Bucarest (le 11), Cannes (le 13), Londres (le 14).
Au cœur de ce programme, une longue suite admirablement composée, construite, orchestrée, fervente et d’une délicatesse immense sans aucune sensiblerie – si ce n’était ce double effet de reverb et de wha wha dont l’ajout à sa sublime sonorité ajoutait un kitsch évidemment superflu. Faute d’arguments, par défaut de talent littéraire et d’esprit d’analyse à la hauteur de ce concert, je me contenterai de rapporter cette réflexion que je me faisais pendant le concert : qu’il y avait là réuni, fructifié, sanctifié, tout ce que nous avons aimé chez Miles, Booker Little, Don Cherry et Kenny Wheeler, mais aussi Charlie Haden et Dave Holland, Tony Williams et Paul Motian… cette façon, en affranchissant le jazz de ses cadres conventionnels, de conférer à la musique cette dimension qu’elle peut partager avec l’art dramatique. Et si je me plaisais à identifier la trace de quelques ascendances, je n’en trouvais aucune, de quelque lisibilité, dans l’art très mystérieux de Yonathan Avishai auquel ce programme doit une large part de son originalité et pour lequel les notions de modernité et de classicisme n’ont guère de sens.
Cette longue suite (dont une phrase récurrente, mais non identifiée, m’a fait venir à l’esprit – réminiscence fortuite ou emprunt conscient, simple ressemblance – le souvenir de deux autres grands dramaturges du jazz des sixties-seventies, Joe Zawinul et Wayne Shorter), cette longue suite, donc, a été suivie d’une relecture très libre et tout à la fois pleine de déférence de l’Adagio du Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel, puis en rappel d’une variation sur une mélodie composée par la fille du trompettiste. Clin d’œil ému vers cette piécette qui restera peut-être comme l’une des perles de sa discographie sur l’un des plus grands catalogues phonographique de l’histoire du jazz. Qui sait ? Franck Bergerot (photo © Maxim François / D’Jazz Nevers)