D’Jazz Nevers, 7ème soirée : duo Aquino-Guidi et quintette African Roots
Ce 17 novembre, musique de salon et musique de savane se sont succédées sur les bords de Loire à La Maison de Nevers.
La première partie donnée par le trompettiste Luca Aquino et le pianiste Giovanni Guidi m’a laissé perplexe et enthousiasmé le public de Nevers. Snobisme parisien ? Déformation professionnelle ? Réaction de “spécialiste” ? En effet, je le suis un peu, sinon je n’écrirais pas dans ces pages. Tel qu’annoncé, le duo est au-dessus de tout soupçon : Giovanni Guidi est l’accompagnateur d’Enrico Rava, et je crois bien moi-même l’avoir apprécié dans ce rôle. Élève de Paolo Fresu, Luca Aquino est plus que cela. Sa technique de trompette époustouflante lui donne accès à une expressivité rare, voire à une forme de théâtralité qui nous aurait presque fait regretter qu’il n’ait pas été seul à l’affiche, ce qu’il fut le temps d’un numéro de quelques minutes, mais qui n’était justement qu’un “numéro”. Sa trompette a quelque chose tantôt d’animal – fauve, grand cétacé ou bête à plume – tantôt d’humain, et il peut passer de l’instrument à l’expression vocale ou sifflée avec un naturel réjouissant. Les deux musiciens gambadent d’une mélodie à l’autre, toutes tirées du répertoire populaire italien ou de l’American Songbook et dans cet exercice Giovanni Guidi s’apparente pour le meilleur à un personnage de la Commedia dell’arte et ses tours de piano à des scapinades. Mais si je réduis sa prestation à une suite de numéros ou de tours, c’est que je me vois là moins au théâtre qu’au cirque, devant une spectacle d’acrobatie virtuose et bouffonne : assis, debout, sur un pied, sur les mains, galipettes, triple salto, contorsions, illusion d’ubiquité, paillettes, œillades au public, révérences profondes… trop c’est trop. Mais probablement suis-je trop “spécialiste” pour me laisser impressionner pas ce spectacle.
En deuxième partie : une longue histoire d’amitié inaugurée en 2009 au festival de Saint-Louis du Sénégal par un coup de foudre entre Simon Goubert (batterie) et Ablaye Sissoko (kora, chant). Depuis, les deux musiciens ont entrepris un dialogue patient, fait d’écoute réciproque, afin de rechercher les liens ancestraux entre les cultures américaines et africaines, devenues étrangères l’une à l’autre et néanmoins cousines. S’y sont joints différents musiciens, à commencer par le regretté Jean–Jacques Avenel qui fut le contrebassiste du premier “African Jazz Roots”, tout à la fois titre d’album et nom de groupe auquel sont également associés le flûtiste Ousmane Ba et le percussionniste Babou Ngom. “Au loin” de 2017 fut ramené au format d’un jazz quartet associant au batteur et au joueur de kora Sophia Domancich (piano) et Jean-Philippe Viret (contrebasse). Pour “Seetu”, le dernier album d’African Jazz Roots, les deux co-leaders ont rajouté dans la balance les deux calebasses d’Ibrahima “Ibou” Ndir.
J’ai toujours été réticent à la combinaison piano et harpe, la kora étant une sorte de harpe, qui ne souffre pas des lourdeurs du pédalier de la harpe de concert et de ses effets de résonances qui supposent maîtrise des techniques d’étouffement et un goût relatif à ce problème. Mais kora ou harpe associée à un piano, ça fait quand même vingt doigts. Et ça fait beaucoup. Au sein d’“African Jazz Roots”, l’équilibre tient à l’intelligence complice de ces deux paires de mains (celles de Sophia Domancich et d’Ablaye Cissoko) qui ont appris à se connaître et tant à cultiver leurs différences qu’à concevoir un terrain commun que la contrebasse de Jean-Philippe porte et complète en partenariat avec Simon Goubert. Auréolé de l’or de ses cymbales, l’éclairage de la scène contribuant à cet effet, le batteur concilie son patrimoine “ternaire” avec le groove africain des sourdes ponctuations d’Ibou sur les calebasses, qui assortit ses coups d’un tambourinage boisé évoquant les doigtés des joueurs de washboard.
Premier rappel, puis Ablaye Sissoko se fait conteur, rappelle l’importance de la tradition, des ancêtres, et lorsque soudain Sophia Domancich est invitée à prendre l’échappée, elle provoque une espèce de maeltröm dans le grave, évoquant les phrasés de Lennie Tristano, qui grossit bientôt jusqu’à déborder sur tout le clavier, peut-être histoire de rappeler qu’elle aussi, elle a des ancêtres, une tradition, une histoire et une actualité qui s’en nourrit. Franck Bergerot (photos © Maxim François / D’Jazz Nevers)