Rolando Luna à Bordeaux
Dans la brochure (très soignée) présentant ce 14e festival dit « L’’Esprit du piano » les textes relatifs aux concerts classiques donnent un programme d’œuvres détaillé. Option que l’on ne retrouve pas évidemment à propos des trois pianistes de jazz invités: Rolando Luna, Jacky Terrasson et Rémy Panossian. Aussi pour relater au mieux le set du pianiste cubain on choisira ici d’illustrer dans l’ordre les thèmes successivement exposés.
Rolando Luna (p), Yarold Abreu (perc)
L’Esprit du Piano, Auditorium, Bordeaux, 24 novembre
1 « Coloreando mariposas »: soit un melting pot orné d’un clin d’œil furtif à La Marseillaise puis une référence à « La Comparsita » chanson fétiche du folklore cubain avec au passage mille notes égrenées, beaucoup se trouvant passées au filtre de l’impro. Comme autant d’éclats sonores scintillants
2 « Danzon Buena Vista Social Club » Yarold Abreu entre en scène. Avec le lot de percussions diverses dont il dispose il joue le jeu de sonorités naturelles que permet la formule du duo. Il s’affiche plutôt un peu en dedans par rapport à des interventions vécues au sein de formules orchestrales plus fournies ( Chucho Valdes, El Comité ) Rolando Luna en introduction du morceau avait parlé à propos du Buena Vista de « notre référence nationale » Ce moment intense peuplé d’improvisations partagées flatte en tous cas les développements rythmiques autant que mélodiques. Et sacralise un monde de musique strictement acoustique puisque aucun micro -hormis celui permettant d’annoncer les morceaux- ne figure alors sur la scène de de l’Auditorium.
3 « Solo»: ce même Abreu resté seul sur les planches fait sonner maintenant les deux peaux du tambour «bâta». Ce rituel percussif génétiquement livré en écho des cérémonies de vaudou, lors de célébrations mi profanes-mi sacrées dites de Santeria à Cuba offre des reliefs certes liées aux danses d’origines africaines. Mais surtout une riche gamme de couleurs de sons typiques de la musique afro-cubaine.
4 « Prélude de Kapûstin »: En pressions multiples sur le clavier sa main gauche agit en créatrice d’accords et/ou de bases de rythmes. Rolando Luna s’affiche capable de nuances y compris dans l’effervescence marquée, très expressionniste, de son jeu de piano.
5 « 20 años »: Yarold Abreu lui garde son cap. Il ne joue pas sur la force, la puissance des volumes mais bien sur la production instantanée d’une frise de détails parlants, très explicitee en matière de musique improvisée. Le pianiste alors la joue tout en douceurs, en évocation seule de séduction à propos de la mélodie On a affaire à une «habanera», exalant certains parfums circulant dans l’air de la Havane.
6 « Gitaneria » (du grand compositeur cubain Ernesto Lecuona) . Le piano résonne d’un swing minimaliste. Yarold Abreu fait vibrer le tempo via le cajón sur du ternaire, un rythme qui, à force de répétitions s’y entend à faire tourner les têtes. De quoi créer de pas de danse, encore et toujours.
7 « Guarina » Le piano se retrouve seul à son tour. Phase solo exécutée sur l’espace d’une balade. Un jeu fluide simple en apparence s’exprime en notes détachées jouées au centre du clavier. Vient le temps d’une escalade dans le volume de jeu. On monte ainsi brièvement jusqu’à une phase d’emphase. Puis on passe tout de suite à un decrescendo. Le phrasé pianistique de Luna, savant mais très maîtrisé permet de conter une histoire que l’on devine sentimentale .
8 « Prélude de Bach» Avec ce chapelet de notes tout un chacun, en connaissance ou en souvenir peut se trouver -retrouver- en terrain « classique » abordé dans des cursus plus ou moins scolaires. Rolando Luna qui lui curieusement n’a jamais fréquenté de conservatoire dans son île de la Caraïbe retrace ces mélodies immortelles de Bach en un exercice de style naturel, jamais forcé. Et y pose sa griffe personnelle via les aléas de l’improvisation.
9 « Amor sin fe » Yarold roule sur les tambours, Rolando glisse sur le clavier sans effort apparent. Ils sont tout en écoute mutuelle pour célébrer ensemble le « grand Benny Moré » chanteur (enchanteur) des chanteurs cubains.
10 » Amar y vivir » Tout un programma de vie résumé en une chanson célèbre elle aussi à Cuba avant, pendant et après Fidel…Rolando Luna y souligne la partie réservée à la voix, la pure mélodie donc sortie du ventre du piano, à grand coup d’accords plaqués fortissimo.
11 «Que sera que sera» chanson du brésilen Chico Buarque devenue « Ah tu verras tu verras » dans la bouche gourmande de Nougaro est, via l’alliage piano/percussion à la mode cubaine, un autre appel à la danse.
12 « How deep is your love » : le bis vient en point d’orgue paraphraser une chanson des Bee Gees. Rolando Luna insiste pour que le public de la salle chante ce hit du groupe californien…mais l’auditoire bordelais se la joue timide, dévirant à peine un fredonnement. Marque du contexte sans doute. Car ici l’on se trouve à l’Auditorium, pas sous la voute de l’Opéra.
Un détail sans doute pour finir l’histoire eu égard à la qualité intrinsèque du duo cubain et aux richesses que recèle «l’esprit du piano» propre à Rolando Luna. Dommage en tous cas que ce niveau purement acoustique du son ne permette pas toujours de saisir les nuances du jeu de percussion sur les « forte » du piano en particulier. À cette remarque Yarold Abreu répondra souriant : « Peut être, mais moi dans ce duo, finalement face au piano je ne suis qu’un …accompagnant.» Trop modeste ce percussionniste d’exception.
Robert Latxague
( Photos Robert Latxague)